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s’appellent aujourd’hui les gens du monde, — étaient pour la plupart assez ignorans. Les beaux esprits, poètes ou orateurs, les lettrés et même les grammairiens qui ont fait le Dictionnaire étaient presque tous, pour tout ce qui n’était pas leur métier littéraire, comme les gens du monde et ne se doutaient pas ou ne s’embarrassaient pas de leur ignorance. De là certaines définitions saugrenues qui nous font sourire, mais qui n’ont choqué que bien peu de gens parmi les contemporains, et dont plusieurs, d’ailleurs, ne choquaient pas alors les savans eux-mêmes. Aujourd’hui on prend soin de faire entrer dans la compagnie quelques représentais éminens des arts et des sciences, qui évitent à leurs confrères de semblables mésaventures ; mais on s’attache avec raison à ce que les définitions n’aient pas une forme trop technique : il suffit qu’elles soient justes en gros, et elles doivent être rédigées dans la « langue commune » et être compréhensibles pour la moyenne des lecteurs.

D’ailleurs, — en dehors des termes d’arts et de sciences, pour lesquels la compétence faisait souvent défaut, et aussi en dehors d’assez nombreuses négligences, comme la traduction vague d’un mot par ses synonymes approximatifs, — les définitions du Dictionnaire étaient souvent, dès l’origine, très bonnes. Elles ont fixé pour la première fois le sens de termes importans pour les institutions, le droit public et privé (on reconnaît l’intervention du grand jurisconsulte Domat), le commerce, etc., avec une autorité qui a été reconnue tout de suite, et qui a contribué à donner au français, au moment même où il devenait presque une langue universelle, ce caractère de clarté si hautement apprécié dans les relations internationales ; aussi l’Académie pouvait-elle dire en 1762 : « Le Dictionnaire de l’Académie française, dans lequel on n’avait d’abord eu pour objet que d’être utile à la nation, est devenu un livre pour l’Europe. » Aujourd’hui encore ce n’est pas seulement en France que les définitions du Dictionnaire font loi : elles tranchent, dans des controverses diplomatiques, des questions d’interprétation. Elles sont une partie très vivante de l’œuvre académique : les gens soucieux de bien écrire y recourent beaucoup plus souvent qu’ils ne consultent la liste même des mots. On ne saurait apporter trop de soin à les revoir et à les mettre au courant.

Ce qu’il y a peut-être de plus méritoire dans le Dictionnaire, ce sont les exemples. Le fonds, qui est excellent, en remonte