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Il ne s’est pas borné à recueillir ainsi, un peu au hasard, le fruit de ses lectures : il a introduit dans le dictionnaire des mots qu’il entendait dire, qui peut-être, avant lui, n’avaient jamais été imprimés, des mots d’ouvriers, de marins, de paysans, souvent des mots provinciaux. Il n’a pas tracé au point de vue dialectal, comme il l’a fait au point de vue chronologique, les limites de sa nomenclature, et je ne veux pas aborder cette question, extrêmement délicate, qui demanderait une longue discussion. Je dirai seulement que Littré n’a nullement été exclusif de ce côté : on relève dans son dictionnaire bien des mots qui ne sont pas du langage de Paris, notamment des mots qu’il rapportait, chaque année, de sa villégiature sur la côte normande : c’étaient comme des coquillages qu’il ramassait sur la plage et qu’il s’amusait à loger dans un coin de sa grande bâtisse. Il n’y a aucun mal à ce qu’il les ait conservés ; mais les dictionnaires subséquens devront en renvoyer plus d’un aux vocabulaires provinciaux.

Après la nomenclature, Littré, dans sa préface, expose ce que son dictionnaire contient de nouveau en ce qui touche la définition des mots, la distinction des synonymes et le classement des sens : je reviendrai plus tard sur cette partie importante de son œuvre. Il expose ensuite pourquoi et de quelle façon il a noté la prononciation des mots : ici encore il a voulu appuyer sur la tradition la prononciation qu’il considère comme bonne ; il a même lutté contre certaines transformations qu’on peut regretter, mais qu’on ne peut empêcher de s’être accomplies : c’est ainsi qu’à toute occasion, avec une persistance digne d’un meilleur succès, il a affirmé la prononciation ancienne de l’l mouillée, qui avait déjà de son temps presque disparu, et qu’il n’a pas empêché de disparaître tout à fait[1]. Malgré quelques autres partis pris et quelques inconséquences, cette notation, par un homme attentif et bien informé, de la prononciation

  1. Il est impossible de ne pas remarquer que les idées de Littré sur la prononciation de l’ancien français sont complètement erronées. Il est resté, chose singulière, fidèle aux théories de Génin, par lequel il avait été initié à ces études, et il soutient avec lui que la prononciation ancienne, — dont il ne distingue même pas les époques, — ne différait pas sensiblement de la moderne, tandis que, naturellement, la prononciation s’est modifiée incessamment au cours des siècles et se rapproche d’autant plus du latin qu’on remonte ce cours.