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l’origine qu’ils assignaient à beaucoup de mots. Il existait, d’ailleurs depuis Ménage, des dictionnaires étymologiques, et Raynouard, dans son Lexique, roman, avait groupé les mots provençaux dans l’ordre de leurs types, d’ordinaire latins ou allemands. Mais la grande nouveauté du dictionnaire de Littré fut d’abord de soumettre, en principe, tous les mots de la langue à une enquête étymologique, puis de donner l’étymologie dans des conditions et d’après des méthodes que, — sauf en partie Raynouard, — n’avait imaginées aucun de ses prédécesseurs français.

D’abord il réunit les correspondans de chaque mot dans les patois français et dans les diverses langues romanes. Pour cela, il s’est aidé des rapprochemens de Raynouard et de ceux de Diez (dont je parlerai tout à l’heure) ; mais, surtout pour les patois, il a beaucoup ajouté à ce qui avait été fait avant lui. Il n’avait cependant à sa disposition que des matériaux très insuffisans, les dictionnaires de patois étant, à son époque, peu nombreux et surtout, pour la plupart, peu critiques. Cette double addition était fort opportune. Un mot français — « francien, » pour employer un néologisme qui exprime plus exactement le caractère de ce qui appartient en propre à l’Ile-de-France — est rarement isolé : il se retrouve, avec des variantes de forme et de sens, d’abord dans les autres variétés du latin parlé au nord de la Gaule, puis dans les variétés du latin parlé au sud de la Gaule, en Espagne, en Italie, en Rétie, en Roumanie même. La comparaison des diverses formes et des divers sens qu’il y présente peut être indispensable pour en comprendre l’évolution phonétique et sémantique. Elle est intéressante en elle-même, en montrant l’expansion et la vitalité des mots. Cette comparaison est loin d’être complète dans le dictionnaire de Littré : il faudrait, pour la faire telle, rapprocher les mots de tous les parlers romans, ce qui serait infini[1] ; mais, telle qu’elle est, elle n’a pas seulement enrichi le dictionnaire et souvent éclairé l’auteur dans ses remarques étymologiques : elle a fait que ce dictionnaire a été utile aux philologues au-delà même de son objet propre et a aidé l’investigation historique de toutes les langues romanes.

Sur l’étymologie en elle-même, Littré s’exprime ainsi : « L’étymologie a pour office de résoudre un mot en ses

  1. Littré a exclu de parti pris le roumain, qu’il trouvait trop lointain (ce qui ne le rendait pas moins intéressant, au contraire) ; il a à peu près ignoré le réto-roman, le sarde et d’autres dialectes importans.