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Malgré ce défaut, qui tient à la conception encore imparfaitement scientifique de l’œuvre, les citations accumulées dans le Dictionnaire en font un incomparable trésor pour le grammairien, le philologue et le littérateur. Elles constituent une lecture aussi attachante que variée, si attachante que souvent, ayant ouvert le livre pour y chercher le sens ou l’emploi exact d’un mot, on ne peut s’empêcher de lire en entier de longs articles, où non seulement apparaissent les ressources infinies de la langue et la richesse surprenante de la sémantique, mais où des pensées intéressantes, profondes, sublimes, ingénieuses, plaisantes, rendues avec grandeur, avec simplicité, avec grâce, captivent tour à tour l’attention. Les exemples, surtout pour la période moderne, sont en effet à la fois très nombreux et choisis avec beaucoup de goût. On s’émerveille qu’une telle anthologie, qui représente un nombre prodigieux d’heures de labeur, ait été cueillie non seulement avec la patience inlassable qu’elle exigeait, mais avec une fraîcheur d’esprit toujours présente, un sentiment littéraire toujours en éveil. Il ne faut pas oublier que si pour le moyen âge Littré a pu utiliser quelques glossaires particuliers déjà publiés, le Lexique roman de Reynouard et le grand dictionnaire manuscrit de Sainte-Palaye, il n’avait pas de prédécesseurs pour l’usage moderne : on n’avait encore donné que bien peu de ces lexiques spéciaux de nos classiques, dont la série se poursuit si heureusement dans la collection des Grands Ecrivains. Il a presque tout fait par lui-même, dans ces longues nuits de travail dont il a si bien dépeint le charme[1], et il a réalisé et dépassé de beaucoup l’idée que Voltaire avait le premier émise, et dont il voulait, à tort, confier l’exécution à l’Académie.

Littré n’a pas fait œuvre de simple compilateur. Il a joint à ses articles des commentaires, souvent très étendus, sur le sens et l’emploi des mots, où il s’est montré grammairien consommé, à la fois très traditionniste et très libéral. Enfin, et surtout, il a introduit l’étymologie dans le dictionnaire.

Ce n’est pas, à vrai dire, qu’elle fût inconnue de ses prédécesseurs. L’Académie s’en était sagement abstenue ; mais Nicot, Richelet, Furetière et ses continuateurs, puis les lexicographes du XIXe siècle, avaient donné, généralement sans commentaires,

  1. Dans le petit écrit intitulé Comment j’ai fait mon dictionnaire, fragment vraiment délicieux de l’autobiographie d’un grand travailleur.