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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/336

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médecin. Il m’a dit Lerminier qui est mort depuis trois ans. Au fond, il a la conscience de son état.

« — J’ai donné dix ans de ma vie à l’empereur en passant deux hivers en Angleterre. Je ne puis faire plus. Je ne sais comment l’empereur me remplacera. Mais c’est assez.

« Voilà ce qu’il m’a dit hier matin. »

Une autre fois et sans doute avec plus de malice que de vérité dans sa description, elle nous ouvre le salon de la comtesse de Boigne qui est au chancelier Pasquier ce qu’elle-même est à Guizot. Elle raconte ce qu’elle a vu et entendu :

« J’ai dîné hier chez les Appony. Plus tard j’ai été chez Mme de Boigne. Elle est maintenant fixée ici. Rien ne m’a paru plus ridicule que la demi-heure que j’y ai passée. Il y avait M. de Sainte-Beuve (dis-je bien ? ) Les premières deux minutes, il causait à voix basse avec M. Bossi. Lorsque le chancelier est entré, Mme de Boigne, sans lui dire bonjour ni bonsoir, lui montre M. de Sainte-Beuve et lui dit qu’il soutient les Jansénistes. Depuis cet instant, je n’ai plus entendu que Pascal, Arnauld, Nicole, avec un flux de phrases, de sentences d’un côté et de l’autre à tel point qu’il a été impossible de dire un mot ou d’avoir une idée. Au fond, j’avais bien envie de rire. C’était une véritable exhibition. Je crois que c’est comme cela que l’entendaient ces Messieurs. M. Bossi m’a plu, il n’a pas ouvert la bouche. Je l’aimerais tout à fait si je pouvais savoir qu’il a trouvé cela aussi ridicule que moi, mais j’en doute. Quant aux interlocuteurs, je n’ai jamais vu des airs plus satisfaits, et lorsque je suis partie, car je suis partie au beau milieu d’une discussion superbe, je suis persuadée qu’ils se seront dit que j’étais confondue. C’est bien vrai cela, mais pas tout à fait comme ils l’entendent. Savez-vous que c’est bien français. Ne vous fâchez pas, d’autant plus que vous n’auriez pas fait cela. »

Elles existent à foison dans la correspondance les lettres de ce genre, et c’est à, regret que nous abrégeons nos citations pour garder la place de faire avant de finir quelques derniers emprunts à celles que la princesse écrivait, en 1840, à Guizot, alors que sous le ministère Thiers, il était à Londres, en qualité d’ambassadeur de France. Pendant cette période aussi bien qu’au cours de ses précédentes absences, et en attendant de l’aller retrouver, elle recevait de ses nouvelles tous les jours. Tous les jours aussi, elle lui écrivait. Ces lettres rapprochées forment un bien