Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auprès de ses deux fils morts à Saint-Pétersbourg en 1835, dans un château de famille, près de Mitau. Elle m’avait montré, je ne sais plus en quelle année, le dessin de leur tombeau. Elle est partie vendredi 30. Elle doit être arrivée à présent… Je m’étonne du plaisir que je prends à vous dire tout cela. Si vous étiez là, peut-être vous en dirais-je encore plus ; peut-être moins. Je ne sais. »

Ce que Guizot ne dit pas dans cette lettre, c’est que la princesse de Liéven avait demandé qu’on la couchât dans son cercueil, vêtue de sa robe de velours et son diadème au front. « Je connais quelqu’un, raconte la duchesse Decazes, qui l’a vue ainsi, ayant dans les mains un crucifix d’ivoire. » Ce crucifix, entre ses doigts était le symbole de l’apaisement enfin recouvré après les agitations de sa vie. Mais, ce n’est pas seulement à la mort qu’elle le devait. De son vivant, et du jour où elle avait connu Guizot, l’amitié, de plus en plus, avait contribué à la mettre en possession de ce bien précieux, réalisant l’espoir que lui avait exprimé jadis, au début de leur liaison, cet admirable ami, lorsque, lui confessant que depuis qu’il « s’était renfermé dans sa foi en Dieu, en jetant à ses pieds toutes les prétentions de son intelligence » il possédait la paix et la sécurité, il s’écriait :

— Que je voudrais vous donner la même sécurité, la même paix !

Ce fut son bonheur à elle de les recevoir de lui sous la forme d’un dévouement incessant et tendre, et son honneur à lui d’avoir toujours été à la hauteur de rattachement qu’il avait inspiré et partagé.


ERNEST DAUDET.