Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

difficultés auxquelles l’exécution de ses desseins allait se heurter. Implanter la race française dans l’Afrique du nord était le problème le plus ardu que se fût encore posé la politique coloniale des peuples modernes. Rien dans l’établissement des Français en Algérie ne pouvait être comparé à l’établissement des Anglais dans l’Amérique du Nord, au Cap et en Australie, à celui des Espagnols dans l’Amérique du Sud et des Portugais au Brésil. En Algérie, la race conquérante n’avait pas devant elle libres et à sa disposition des terrains de culture immensément étendus, aux horizons illimités, qu’habitaient des peuplades clairsemées, primitives et sauvages ; tout le sol algérien était occupé, cultivé ; le peuple qui le possédait était relativement nombreux, avait pris contact depuis des siècles avec l’Europe et l’avait dominée en partie ; il avait une civilisation avancée, se rapprochant de la nôtre ; une religion à laquelle il était opiniâtrement attaché, avait conscience de sa nationalité et répugnait, par ses mœurs et ses idées, à toute assimilation ou fusion ; et ce peuple on ne devait et on ne pouvait ni le refouler, ni l’exterminer. Sur un sol restreint, il allait falloir faire vivre côte à côte une population chrétienne et une population musulmane, des sémites et des aryens.

Dès le début, l’antinomie se révéla. Le maréchal de Bourmont, et après lui ses successeurs dans le commandement en chef de l’armée d’Afrique, le général Berthezène, le général Clauzel, le duc de Rovigo, le général Voirol eurent à lutter avec des difficultés qu’on n’avait guère soupçonnées. Les vainqueurs purent bien occuper Alger, Oran, Bougie, Bône et divers points du littoral, prendre possession du sol ; ils n’eurent aucune prise sur l’âme du peuple vaincu. Dès les premiers jours de la conquête, la race indigène apparut inébranlable dans ses traditions, ses idées et ses mœurs. Les commandans en chef de l’armée d’Afrique trouvèrent en face d’eux une société régulière, pourvue de tous les élémens de vie et de consistance, et se virent obligés de compter avec elle. En présence d’une organisation aussi solide et d’un élément indigène aussi irréductible, ils en arrivèrent même à conclure qu’il ne pouvait y avoir place pour l’introduction d’un autre élément de population en Afrique. De parti pris, on ne voulut pas en haut lieu s’occuper de la question de colonisation, et même on déclara toute colonisation impossible. Celle-ci dut se faire toute seule sans aucun appui de l’autorité. Ce furent les colons eux-mêmes qui posèrent le problème de la colonisation.