A notre arrivée en Algérie, il n’y avait dans tout le pays que 602 personnes se réclamant de la nationalité française, nombre infime qui ne représentait pas même un groupe de population compact, mais des individualités dispersées sur tout le territoire. Avec l’armée d’occupation arrivèrent une foule d’aventuriers français et européens qui se fixèrent à Alger même. Dix-huit mois après la prise de la ville, à la fin de décembre 1831, leur nombre s’élevait à trois mille. C’étaient pour la plupart des gens sans aveu, de bas étage, accourus de tous les points de la Méditerranée, qui exploitaient l’armée et ne vivaient que d’elle ; leur principale industrie était de tenir des cabarets et des guinguettes ; la culture du sol était leur moindre souci. Mais vers la fin de 1832, un groupe d’émigrans plus recommandables arriva. C’étaient des hommes sérieux, de bonne famille, dans la jeunesse ou la force de l’âge, pleins d’entrain et de vigueur, que l’ennui des occupations sédentaires, le goût d’une vie plus large et plus active attiraient de France en Afrique. Les uns ne voulant pas se rallier au nouvel ordre de choses établi par la Révolution de 1830 avaient entrevu dans cet exode le plus heureux moyen d’employer leur activité loin des irritans débats de la politique ; d’autres trouvant leur fortune insuffisante pour eux et leur descendance avaient réuni toutes leurs ressources, et rassemblé tout ce qui leur restait d’énergie pour faire fructifier leur avoir ; quelques-uns avaient été envoyés par leurs familles vers les solitudes africaines pour qu’ils fussent soustraits aux effervescences d’une jeunesse orageuse. Tous avaient un pécule plus ou moins important et accouraient avec la noble ambition de se créer en Algérie un avenir non moins honorable et une situation plus lucrative que toutes les carrières auxquelles ils eussent pu prétendre, dans la mère patrie. Ce sont eux qu’on doit considérer comme les premiers pionniers de la colonisation en Algérie.
L’aspect du pays dont ils allaient entreprendre la mise en valeur dut faire tout d’abord tomber bien de leurs illusions. Ils étaient partis avec l’idée qu’ils allaient s’établir dans une contrée qui était dans son ensemble d’une richesse proverbiale, d’une fertilité exubérante. Ne leur avait-on pas dit que jadis l’Algérie fut le grenier de Rome ? Ces mots magiques, évoqués couramment dans la presse littéraire et les académies, avaient surexcité leur imagination. A la vérité, ils auraient bien pu se rendre compte que l’Algérie n’était pas la seule contrée qui fournit le blé à la subsistance de Rome,