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acquéraient tous les jours une importance plus grande ; de grandes fermes, de vastes exploitations agricoles les reliaient les uns aux autres ; presque tous ces établissemens étaient l’œuvre exclusive de colons libres, indépendans, agissant de leur initiative privée, avec leurs seules ressources. Une race exclusivement française naissait sur le sol africain, race vigoureusement trempée s’il en fut. Entre elle et les indigènes paisibles, il n’y avait aucune hostilité, aucune antipathie ; ceux-ci, que n’avaient pas encore dépossédés les confiscations en masse, n’avaient aucun motif de rancune contre le colon ; l’établissement d’un immigrant européen dans leur voisinage était considéré par eux comme une bonne fortune, car ils y trouvaient profits et salaires. Non seulement ils devenaient les auxiliaires empressés du colon dans le défrichement du sol, mais encore ils veillaient à sa sécurité personnelle, assuraient, sous son autorité, la police de la plaine et allaient faire avec lui le coup de feu contre les maraudeurs. Entre le maître et l’ouvrier indigène régnait la même cordialité de rapports qu’entre le maître et le serviteur européen ; l’élément européen et l’élément indigène fusionnaient dans une même sympathie. Temps heureux que n’a plus connus l’Algérie, et combien peu allait répondre l’avenir aux espérances du présent !

De tous les efforts de cette vaillante génération de colons, en effet, il ne devait rester plus de traces ; dans la Mitidja, toute leur œuvre devait disparaître, devait être complètement anéantie. Le traité de la Tafna n’avait pu établir entre le gouvernement français et l’émir Abd-el-Kader un modus vivendi satisfaisant ; il n’avait abouti qu’à une paix boiteuse et mal assise. Dès le lendemain de la signature du traité, les malentendus avaient surgi ; puis, des dissentimens plus graves étaient survenus. L’un d’entre eux relatif à une question de frontières amena la rupture. Le traité de la Tafna portait que les possessions françaises du Sahel et de la Mitidja s’étendraient à l’est « jusqu’à l’oued Keddra et au-delà. » Arguant de cette expression vague et impropre ; et voulant d’ailleurs faire sentir sa force à Abd-el-Kader, le maréchal Valée, alors gouverneur, envoya une expédition militaire au-delà de l’oued Keddra, lui fit traverser la Kabylie et franchir les Portes-de-Fer. Abd-el-Kader, voyant dans cet acte une violation des engagemens convenus, dénonce le traité et déclare la guerre. L’autorité militaire ne s’était pas préparée à cette éventualité. La déclaration de guerre la prit au dépourvu. Toutefois les forces qu’on