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d’épilogue à l’idylle bourgeoise du prince et de la comédienne. Celle-là, personne ne l’a dessinée, mais nous en savons assez pour la deviner.

C’est en 1816. Dans une humble chambre garnie, à Saint-Cloud, une femme est seule ; elle attend des lettres qui ne viennent pas. Touché de sa détresse, le propriétaire lui offre de l’argent : elle refuse. Dans la petite chambre sombre et mal meublée, les heures se traînent, mornes, désolées, implacables. Couchée sur un sofa, cette femme pleure. Qui se douterait qu’elle a fait rire deux générations ! Sa vie est tout entière dans l’attente du courrier. Chaque jour, nouvelle déception. Une dernière fois le logeur se rend à la poste. La pauvre martyre se soulève, interroge du regard. « Rien, Madame ! » et elle meurt. Cette femme est Mrs Jordan et l’homme qui la tue par son silence est le duc de Clarence. Quand il sera roi, il paiera sa dette de-cœur en commandant au sculpteur Chantrey une statue de sa maîtresse qui se dresse, riante et gracieuse, au-dessus de sa tombe abandonnée dans le cimetière de Montretout.

De tous les fils du roi, celui qui a donné le plus d’ouvrage aux caricaturistes, c’est le duc d’York. Colonel à seize ans, il était général à dix-huit. N’attribuez pas à des mérites exceptionnels ou à des- actions d’éclat cet avancement extraordinaire. Il avait bien été évêque dès le berceau en sa qualité d’héritier du trône électoral de Hanovre[1]. Il était le fils favori de George III et l’on ne voit rien en lui qui justifie cette prédilection, si ce n’est que ses vices, au moins dans la forme, digéraient de ceux de son frère aîné, le prince de Galles. On lui donna à commander des armées ; de revers en revers, il s’éleva au grade de généralissime. Vers 1805, il avait pour maîtresse une créature appelée Mrs Clarke, à laquelle il témoignait une confiance sans bornes et qu’il accablait de protestations écrites de sa tendresse dans les termes les plus ridicules. Puis, l’amour passé, il congédia sa maîtresse avec une mesquine pension qu’il n’eut même pas la probité de payer régulièrement. Elle se plaignit, puis se fâcha : ou la menaça dédaigneusement du fouet et du pilori. Alors elle se redressa et attaqua en face son ancien amant. Il lui avait dit un jour, au temps où il ne savait rien lui refuser : « Etant ma favorite, vous avez dans ce pays-ci plus de pouvoir que la Reine. » C’était vrai

  1. L’héritier présomptif, en Hanovre, portait, le titre d’évêque d’Osnabrück.