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— peut-être un peu jaloux de ces étranges rivaux, — n’osait plus dîner en ville. Les gens les plus sérieux allaient partout, un ballon à la main, de même que, trente ans plus tôt, on les aurait vus manœuvrant les ficelles de leur pantin. Mais la fièvre des ballons passa, tandis que le parapluie devint une sorte de symbole national. Pour dater cette double invention, nous avons, dans les caricatures, la femme-parapluie et la femme-ballon. C’est le « bouffant » qui justifie ces plaisanteries. En effet, aux hanches artificielles s’était substituée une protubérance postérieure, également postiche. A combien d’usages pouvait servir ce bienheureux bouffant ! En cas d’orage, une mère en fait un abri pour sa famille. Gonflez-le d’hydrogène et il vous enlèvera dans les airs. Bourrez-le de tabac, cachez-y deux ou trois bouteilles d’eau-de-vie et vous défiez la malice des rats de cave. Au besoin la femme peut s’échapper de son vêtement qui ne tient pas à sa personne et laisser une enveloppe vide aux mains de l’huissier qui veut la saisir. C’est, du moins, ce que veulent nous persuader d’ingénieuses caricatures : Un corps sans âme et Une âme sans corps.

Nous sommes en 1790, le troupeau des Zèbres défile devant nous. Il en est de mâles et de femelles, car les deux sexes adoptent à la fois les étoiles rayées. Encore une mode française ! La rue Saint-Honoré continue à envoyer aux élégantes de Bond Street et de Piccadilly la fameuse poupée, habillée à la dernière mode de Paris et qui fait autorité dans le monde entier. En 1797, les dessins de Rowlandson et de Gillray nous offrent des contrefaçons absolument ressemblantes du muscadin et de la muscadine. Vous reconnaissez l’habit à longue queue et à larges revers, les oreilles de chien, la cadenette, l’ample cravate qui noie le menton dans des flots de mousseline. Et vous reconnaissez aussi cette jupe courte, étroite, d’étoffe transparente, cette chevelure follement embroussaillée qui rejette en tous sens ses mèches désordonnées. Est-ce la Tallien qui part pour le bal des victimes ? Non, c’est Lady Georgina Gordon : elle se rend aux jardins de Kensington armée en guerre pour prendre d’assaut le cœur du duc de Bedford qui, outre ses quartiers de noblesse, possède plusieurs quartiers de Londres. Et les jupes vont se raccourcissant, s’atténuant, se collant au corps, ne laissant plus rien à faire à l’imagination ; on se demande, avec inquiétude, si elles ne vont pas disparaître tout à fuit, lorsque le terrible hiver qui termine le siècle vient rappeler à ces belles filles