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du même délit, fit une allusion sévère ; aux grandes dames qui bravaient la loi : « Elles se croient, dit-il, au-dessus de la justice, mais elles se trompent. Qu’où me les amène et, quel que soit leur rang, je les enverrai au pilori. » On les amena devant Lord Keuyon, mais il n’eut pas le courage d’exécuter sa menace et se borna à infliger une amende aux filles du Pharaon. C’est Gillray qui se chargea de les mettre au pilori. Grâce à lui, elles y sont encore ; elles y seront toujours. Lady Archer est longue et efflanquée, Lady Buckinghamshire épaisse et courte ; l’une se courbe, pour passer à travers l’ignoble trou son bec d’oiseau de proie, l’autre se hisse sur ses pointes pour y introduire son plat et impudent museau de truie. Dans cette circonstance, c’est le caricaturiste qui fut le vrai justicier.

Le mondain et la mondaine passent une partie de leur soirée au théâtre. Mais il y a bien des manières d’aller au théâtre. Toutes ces manières, Rowlandson les connaît et nous les fait connaître. Un premier dessin, plein de vie, de fantaisie et de mouvement, représente le couloir des premières, à Covent-Garden. Ce couloir ressemble fort à ces « promenades » qui tendent à se multiplier dans nos salles modernes et que le théâtre a empruntées au Music-Hall. C’est là que se réunissaient tous ceux et toutes celles qui ne venaient pas au spectacle pour la pièce. Des mondaines, des femmes galantes ; des fats qui vont de groupe en groupe ; des provinciaux ébahis ; des étrangers qu’on dévisage, mais qui ne s’en doutent pas parce qu’ils sont eux-mêmes occupés à dévisager tout le monde ; un vieil amiral, qui, solidement, planté sur sa jambe de bois, regarde, avec des yeux gourmands, défiler les beautés à la mode ; des bouquetières qui se chargent des négociations les plus délicates et aplanissent pour les timides les premières difficultés de l’amour.

Puis quatre dessins, délicieux de finesse et de grâce, nous montrent le public aristocratique des loges, depuis l’ingénue de quinze ans qui vient pour la première fois de sa vie au théâtre avec son chaperon et qui ouvre des yeux tout ronds, dévorans, insatiables, extatiques, jusqu’aux élégantes qui sont venues exhiber d’adorables chapeaux, dernier effort du génie des modistes parisiennes. Dans les Spectateurs de la tragédie et les Spectateurs de la comédie, nous faisons connaissance avec un troisième public, le vrai, celui-là. Il occupe en force le parterre et regarde avec mépris les flâneurs du Lounge, avec méfiance les