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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/402

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nous avec la puissance et la sobriété d’un maître. Comme Hogarth, avec son crayon, racontait l’histoire d’une âme, il a raconté l’histoire d’une digestion. Le drame a trois actes : avant, pendant, après. C’est la même figure, les mêmes traits que nous voyons successivement s’allonger, se contracter, s’épanouir. D’abord l’attente inquiète, presque douloureuse, éclairée pourtant par le rayonnement du plaisir espéré. Puis le sérieux, l’attention exclusive et profonde, l’absorption de l’être dans l’auguste fonction qui s’accomplit. On comprend la vérité de cette parole : « L’homme ordinaire se nourrit, seul le gourmand dîne. » Ensuite vient le recueillement, l’extase, le Nirvana. Renversé en arrière, la paupière mi-close, entouré de visions heureuses qui flottent dans l’atmosphère encore chargée de subtils parfums, le dîneur repasse ses sensations, dîne une seconde fois par la pensée. C’est l’heure de la poésie, l’heure de l’idéal. C’est aussi l’heure des suprêmes indulgences, et le valet, muet jusque-là, a pris la parole, sans doute pour demander quelque faveur. Est-ce qu’un homme qui a dîné de cette façon-là peut refuser quelque chose à son serviteur ?

Si l’on s’isole quelquefois pour mieux manger, on se rapproche d’ordinaire pour mieux boire. Rowlandson s’est complu à nous montrer ce qui se passe dans la salle à manger quand on a enlevé les plats et laissé seulement sur la table les verres et les bouteilles. De quoi parle-t-on, si l’on peut encore parler ? Il n’y a que deux sujets : la chasse et la politique. Dans le salon, les femmes se morfondent. Elles ont épuisé la pauvre provision des médisances et des cancans de la semaine : les mariages, les divorces, les enlèvemens. Pas plus que leurs maris, elles ne savent causer. Un domestique vient glisser deux mots à l’oreille du maître : « Madame fait dire à monsieur que le café est servi, » et le maître répond à cette sommation en disant tout haut : « Allons, messieurs, encore une bouteille ! »

On a vu par le journal des deux mondains, mâle et femelle, quelle place tient le jeu dans l’existence des deux sexes. Heureux quand le jeu ne conduit pas à la tricherie ! Ce fut le cas de ces trois femmes de qualité qu’on nommait les filles du Pharaon : Lady Archer, Lady Buckinghamshire et Lady Mountjoy. Elles tenaient chez elles une sorte de tripot où elles attiraient les novices pour les dévaliser. Lord Kenyon, le Chief Justice, un jour qu’il condamnait des femmes de basse classe reconnues coupables