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Et pourtant j’ai voulu être un homme et me vivre
Et faire tour à tour ce que font les vivans ;
J’ai noué la sandale à mon pied pour les suivre.

Amour, haine, colère, ivresse, j’ai voulu,
Par la flûte de buis comme au clairon de cuivre,
Entendre dans l’écho ce que je n’étais plus.

Si j’ai drapé mon corps de pourpres et de bures,
N’en savais-je pas moins que mon corps était nu
Et que ma chair n’était que sa cendre future ?

Non, ce laurier sans joie et ces fruits sans désir
Et la vaine rumeur dont toute vie est faite,
Non, tout cela, c’était pour pouvoir mieux dormir

L’ombre définitive et la nuit satisfaite !


L’HOMME ET LES DIEUX


La terre est chaude encor de son passé divin.
Les dieux vivent dans l’homme, ainsi que dans le vin
L’ivresse couve, attend, palpite, songe et bout
Avant de se dresser dans le buveur debout
Qui sent monter en lui, de sa gorge à son front,
Et d’un seul trait, sa flamme brusque et son feu prompt.
Les dieux vivent en l’homme et sa chair est leur cendre.
Leur silence prodigieux se fait entendre
A qui sait écouter leurs bouches dans le vent.
Tant que l’homme vivra, les dieux seront vivans ;
C’est pourquoi va, regarde, écoute, épie et sache
Voir la torche éclatante au poing que l’ombre cache.
Contemple, qu’elle fuie ou qu’elle dorme, l’eau,
Qu’elle soit source ou fleuve et fontaine ou ruisseau,
Jusqu’à ce que s’étire ou se réveille en elle
La Naïade natale et la Nymphe éternelle.
Observe si longtemps le pin, l’orme ou le rouvre
Que le tronc se sépare et que l’écorce s’ouvre
Sur la Dryade nue et qui rit d’en sortir !