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théâtre où l’on ne quitte pas la nature d’un pas. La critique positiviste en ne tenant compte que de la valeur documentaire des œuvres et n’y voyant que le reflet des mœurs de l’époque contemporaine, faisait tort à l’art de Racine de ce qu’il a de plus profond. Les historiens, les philosophes, et aussi les « ennemis du despotisme, » ont contribué de la sorte à amonceler les nuages autour de cette œuvre de clarté : les critiques dramatiques ne les ont pas dissipés.

Ainsi s’est formé à propos de Racine ce tissu d’erreurs dont il n’a pas fallu moins que l’effort de ces vingt dernières années pour nous débarrasser. Racine était le « tendre » Racine et on ne s’étonnait pas autrement si, par un accident ordinaire, la tendresse chez lui dégénérait en fadeur. Racine était un moraliste, digne contemporain de l’auteur des Maximes et de celui de la Princesse de Clèves, et qui excellait à disséquer le cœur humain, mais suivant les procédés tout analytiques de son temps. Son théâtre était éminemment abstrait. Dans un décor idéal se promenaient des êtres irréels, purs esprits qui ne s’embarrassant pas d’avoir un corps échappaient donc à la poussée des sens et dont toute la psychologie se ramenait au jeu d’une faculté arbitrairement isolée des autres. Racine était un orateur, composant de merveilleux discours, œuvre de la raison raisonnante et qui, s’adressant d’ailleurs au public de la salle plutôt qu’aux personnages de la scène, substituaient l’éloquence à l’action. C’était un poète qui savait charmer l’oreille par les ressources d’une versification harmonieuse et souple ; ou plutôt encore, l’invention et l’imagination lui ayant toujours fait défaut, c’était, plus qu’un poète, un délicieux écrivain en vers. C’était surtout un homme du monde, un parfait courtisan, expert à reproduire dans le dialogue de la scène les mille nuances qu’imposaient les raffinemens de la politesse à une société tout artificielle, créée par un état des mœurs désormais aboli… Si fausse et surannée que nous paraisse aujourd’hui une telle conception, c’est celle qu’on retrouverait encore dans beaucoup de livres d’enseignement fort estimables, et c’est, à n’en pas douter, celle qui subsiste, solidement ancrée, dans l’esprit de la plupart des honnêtes gens qui vont entendre les pièces de Racine à la Comédie-Française ou à l’Odéon, quand on les joue par hasard ou par nécessité et faute de pouvoir ruser davantage avec le cahier des charges.

C’est celle qu’a longtemps professée le plus autorisé des récens critiques de théâtre, ou, pour mieux dire, le seul qui en ces derniers temps ait réellement possédé l’autorité. Sarcey devait cette autorité à une réputation bien établie d’être le représentant de la saine