Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE LITTÉRAIRE

LE DÉCOR DE LA TRAGÉDIE DE RACINE

Quand on parle de l’écrivain de théâtre qui a été le plus mal compris en France, on sait aussitôt de qui il s’agit : ce n’est pas de Shakspeare non plus que de Sophocle, ni de Calderon, ni de Goethe ou d’Ibsen ; c’est de Racine. A coup sûr lorsque nous commentons les chefs-d’œuvre du théâtre étranger, nous ne pouvons manquer de commettre d’énormes méprises ; mais nous avons une excuse. La tragédie de Racine est une création de notre esprit et nulle autre ne donne une image aussi exacte des qualités qui nous sont propres ; tout y est clair, logiquement déduit, noté avec précision ; jamais œuvre n’a été moins redevable au concours d’une heureuse obscurité ; et il n’est guère d’exemple d’un art plus réfléchi, plus volontaire, et qui laisse moins de part aux fantaisies de l’interprétation. Il semble qu’il suffise ici de lire. Mais apparemment savoir lire est plus difficile qu’on ne croit. On a commencé par ne plus apercevoir Racine qu’à travers ses imitateurs, et on a fait porter à son théâtre le poids de tous les péchés de la tragédie défaillante. Puis on a recueilli pieusement les plus paradoxales boutades et les sarcasmes les plus épais de la critique allemande. Cependant le mélodrame envahissait la scène française, le goût s’émoussait, les sens devenaient plus exigeans, on reprochait à Racine de ne pas s’être avisé de moyens qu’il avait écartés comme indignes. Le romantisme, en détournant l’art des voies de la vérité, rendait les spectateurs de plus en plus incapables de goûter un