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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/453

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de doctorat, ce n’en est pas la moindre singularité. Le doctorat est un examen qui confère le droit d’enseigner la littérature dans les Universités ; il semblerait donc que pour y être admis on dût faire preuve de quelque sentiment littéraire. C’est ce dont se soucient le moins les candidats et leurs juges. De plus en plus volumineuses, bourrées de documens et dénuées de toutes qualités de mise en œuvre, les thèses de doctorat ne sont plus guère que des répertoires de matériaux, ouvrages d’érudition où le texte est fait pour les appendices et la page pour le bas de page. Une thèse de doctorat doit être illisible. Le livre de M. Le Bidois sur Racine sera très lu. Il est de dimensions raisonnables, d’aspect modeste, sans aucun appareil critique, sans une référence. C’est le livre d’un homme très instruit, très cultivé, dont le goût s’est affiné par un long et intime commerce avec nos écrivains classiques, et qui, au lieu de se répandre autour et en dehors de son sujet, a préféré le prendre par le dedans, s’y installer, y creuser jusqu’à ce qu’il eût trouvé un filon nouveau. Il est vrai que le travail ainsi conçu n’est plus un simple travail de patience à la portée de quiconque y met de la bonne volonté et du temps ; il y faut du goût, de l’ingéniosité, et de la finesse.

Comment la simplicité du sujet, la violence des passions, la faiblesse des caractères, tout dans la tragédie de Racine concourt à rendre l’action plus rapide et plus saisissante, M. Le Bidois a eu raison de le redire ; mais d’autres l’avaient dit avant lui. Ce qui lui appartient, c’est d’avoir mis en lumière un point qui importe à la définition et à l’interprétation de la tragédie racinienne. Car est-ce ici une « conversation sous un lustre » ? est-ce une véritable tragédie ? Une pièce de théâtre est faite non pour être récitée seulement, mais pour être jouée ; non pour être entendue seulement, mais pour être vue. Elle doit contenir un élément de spectacle : il faut que les yeux y soient sans cesse occupés. Qu’y a-t-il dans le théâtre de Racine pour occuper les yeux ? Ce n’est pas la toile de fond, cette toile qui représente tantôt une plage et tantôt une salle de palais, et sert pour les cinq actes. Ce ne sont pas les costumes, pour lesquels Racine se contente des oripeaux conformes à la convention régnante. Nul doute que les artifices de notre moderne mise en scène ne lui eussent paru tout à fait condamnables, comme détournant l’attention de ce qui doit justement faire l’intérêt, et qu’il n’eût trouvé désobligeant pour un écrivain d’avoir tant à attendre du concours multiple du peintre, du costumier, du machiniste et du moucheur de chandelles. Chaque fois qu’un incident pittoresque se présente dans le sujet, il s’empresse