de le mettre en récit et de l’écarter des yeux. Et pourtant les yeux du spectateur ne chôment pas. Il y a un décor à la tragédie de Racine et pour le dérouler le poète n’a besoin d’aucun secours étranger. Il le crée lui-même par les ressources de son style et par l’effet naturel de l’action, attendu que ce décor lui est fourni par la physionomie des personnages et que ce spectacle n’est que celui des expressions du visage humain.
Cette importance donnée au visage, son emploi comme décor d’une tragédie psychologique, telle est dans le livre de M. Le Bidois la trouvaille. « L’auteur de Bajazet et d’Athalie, nous dit-on, est trop expert aux choses du drame, il a fait une étude trop approfondie des règles de la scène, et ne craignons pas de le dire, il a vécu trop longtemps et d’une manière trop effective de la vie de théâtre pour ne pas faire une part, une large part aux exigences du spectacle… Où faut-il donc le chercher, ce décor insaisissable ? Nulle part ailleurs qu’à sa place véritable, c’est-à-dire sur la scène, et cela toutes les fois qu’une passion vivement émue se donne en spectacle à nos yeux, c’est-à-dire, chez Racine, à tous les moments du drame… Le visage, « théâtre, disait Mascaron, où toutes les passions paraissent avec leur livrée » n’offre-t-il donc pas lui-même ce spectacle complet qu’exigent les théoriciens de la scène ? N’est-il pas véritablement le plus simple et le plus riche décor, le plus naturel à la fois et le plus apte à se plier aux exigences de l’art, celui qui se prête le mieux à toutes sortes de variétés et de changements ? Bref ne réalise-t-il pas toutes les conditions d’une belle décoration plastique ? Mais il offre en même temps un décor plus spirituel que matériel ; l’âme s’y imprime aussi fortement qu’il est possible, ou plutôt elle y transparait, elle s’y manifeste dans un maximum d’éclat par un minimum de matière, par une matière dont l’âme même constitue la substance et modèle la forme. » Cela différencie profondément la tragédie de Racine d’avec celle des anciens où le masque étant immuable exclut ce genre d’effets, dans le drame de Shakspeare l’attention est sollicitée par tout le spectacle extérieur, sans l’être spécialement par l’expression du visage ; dans la tragédie de Corneille le héros se regarde lui-même et s’admire dans l’attitude où il se raidit, plutôt qu’il n’interroge l’air et la contenance d’autrui ; c’est donc ici un trait caractéristique et dont l’étude peut être féconde.
Notons d’abord combien ces personnages qu’on nous donnait pour dégagés du monde sensible sont impressionnés par les sensations de la vue. Loin de la vue d’Agrippine, Néron reprend son libre arbitre ;