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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/532

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Ligue comme conférencier « patriotique, » et plus tard sénateur, collaborait à un journal strasbourgeois anti-protestataire, que dirigeait un ancien représentant de l’Alsace devenu consul de Prusse à Messine. Le Manuel de tir auquel Macé, sous forme de préface « patriotique, » donnait une précieuse estampille, était l’œuvre d’un maçon qui, dans la loge de Chaumont, apostrophait, en prose et en vers, le « glaive homicide » et le « canon meurtrier, » et qui rêvait, dans l’intimité de ses « frères, » d’une fédération européenne. Lorsqu’on a la patience de confronter froidement, méthodiquement, les bulletins officiels de la Ligue de l’Enseignement et les comptes rendus officiels des « travaux » maçonniques, on admire avec quelque trouble cette aisance de dédoublement, et l’on a besoin, pour se remettre, de relire un discours de Gambetta, comme après la lecture des Provinciales on a besoin d’ « aller en Bourdaloue. »

La maçonnerie elle-même, quelque temps durant, essaya, comme Macé et ses amis, de faire officiellement toilette patriotique. Le Congrès des loges de l’Est, tenu à Nancy en 1882, résolut d’associer les maçons à l’œuvre de l’éducation civique et militaire ; des négociations s’engagèrent entre le Grand-Orient, les deux chapelles écossaises alors désunies, et les derniers fidèles de Misraïm, et ces divers rites furent d’accord, en 1884, pour laisser s’organiser une « Union patriotique de la maçonnerie française, » destinée à multiplier les sociétés de gymnastique et de tir. On remarquait dans le comité, à côté de Macé, de Vauchez et de Floquet, des spéculatifs comme le bon frère Hubert, dont nous avons dessiné naguère la physionomie cosmopolite, et des écrivains comme Chatrian, dont un excellent juge, dès 1872, définissait la manière en notant « sa façon fort drôle de montrer aux simples d’esprit que, quand on a perdu ses bras et ses jambes, c’est pour la vie, et que le meilleur encore est de se conserver. » C’était vraiment une improvisation patriotique que la formation de ce comité. On apprit, peu de semaines après, que pour étendre son action, il allait fusionner avec le Comité de la Ligue de l’Enseignement : la Ligue se croyait désormais assez forte pour n’avoir rien à cacher, et ne doutait point de recueillir à bref délai, pour la maçonnerie et pour elle-même, la récompense d’une attitude aussi laborieuse que nouvelle.

La récompense fut médiocre. Macé, lui, eut un fauteuil de sénateur inamovible, dont toutes les loges de France lui firent