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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/548

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proche de Paris, pour protester contre l’allégresse qui avait fêté le retour du général Dodds. Mais ce fut la loge parisienne l’Équerre, qui grâce à M. Paschal Grousset, ancien membre de la Commune, entreprit en février 1895 celle téméraire besogne, de mettre les conseils de guerre sur la sellette ; elle fut le point de départ de l’inutile campagne de révision dont le lycée de Rennes a vu l’issue. La maçonnerie, dès ce moment, fut tout entière en branle : elle attaqua, dans ses planches, dans ses revues, dans ses convens, les « graines d’épinards, » les « chefs armés de cierges, » la « tourbe de valets et de faux républicains qui n’ont d’autre bagage que l’épée et le goupillon ; » Gambetta fut l’objet, dans cette même loge l’Equerre, d’une sorte de procès posthume, au cours duquel il fut convaincu d’avoir « exalté l’idée militaire, établi avec imprévoyance le culte de l’uniforme, » et d’avoir été, par là, « très funeste à la France : » et dans la seule année 1900, on vit le congrès maçonnique de Nice mettre à l’étude la suppression de l’armée permanente, celui de Bône voter la suppression des conseils de guerre en temps de paix, et le grand convent, enfin, accueillir l’idée de prohiber aux soldats et aux officiers, en dehors du service, le port des armes.

On ne sera point surpris qu’entraînée par un tel élan, la maçonnerie française ait affecté une orientation de plus en plus internationale. Elle fit en 1891 le pèlerinage de Nice, pour honorer un « Christ nouveau, » un « Titan libre penseur, » un personnage qui fut « à la fois Cincinnatus, Scevola, Coriolan, Giordano Bruno, Savonarole, Arnaud de Brescia, » et dont la tombe est tout ensemble « la Mecque de l’Italie et la Mecque de l’humanité. » Aux pieds de Garibaldi, les frères de France et ceux d’Italie s’étreignirent : entre liturgistes, on se redisait avec édification l’une des stipulations testamentaires de l’auguste défunt, qui par piété pour la maçonnerie avait réclamé que son bûcher fût alimenté avec du bois d’acacia ; entre politiciens, on méconnaissait cette vérité, que devait, peu de mois après, énoncer Jules Ferry : « Il n’y a pas, il n’y a jamais eu, de nos jours, de parti français au-delà des Alpes, » et l’on parlait d’union des races latines, puis d’union des peuples, et du nivellement des frontières, peut-être même du nivellement des Alpes. M. Lemmi, l’an d’après, prit ce rêve pour une réalité ; et deux de ses harangues, prononcées l’une à Bologne et l’autre à Borne, firent flotter sur le cap Corse et sur le Var les plis du drapeau italien ;