Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/554

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire respecter aujourd’hui le travail préparatoire et demain le règne définitif de ce prétendant nouveau, contre lequel les tyrans du monde entier mettront leurs armes en branle et les bourgeoisies leur or, et qui s’appelle le socialisme révolutionnaire.

Encore que M. G. Sorel et quelques-uns de ses coreligionnaires s’inquiètent de voir les « socialistes parlementaires » devenir des « patriotes, » nous voilà loin, et bien loin, du patriotisme de Gambetta. La grandeur de la patrie française était, son but à lui ; pour ces nouveaux venus, l’organisme auquel ils conservent le nom de France est un instrument dont on doit avoir soin, un facteur qu’il importe de protéger. La France ne sera plus un syndicat d’exploitans au profit d’une classe dite capitaliste et au profit d’une doctrine dite nationale, mais au profit d’une classe dite ouvrière et d’une doctrine dite internationale. Le commun des Français aime la France sans condition ; les « internationalistes » du socialisme réservent à l’idée de patrie beaucoup de haine ou un peu d’amour, selon ce qu’ils augurent de l’attitude de la patrie à l’endroit de leur système.

Il va de soi que cette façon même d’envisager la personnalité de la France — et de l’aimer éventuellement — exclut le maintien de l’institution militaire telle qu’elle existe : lisez à ce sujet le très remarquable discours prononcé par M. Jaurès à la Chambre des Députés le 7 mars 1895. Cette institution militaire, d’abord, est jugée incompatible avec le régime républicain : « Qu’il le veuille ou non, écrivait dès 1888 M. Fournière, un soldat, qui peut être en son privé un bon républicain, ne peut l’être comme homme public, cela lui est impossible. » Voilà le principe posé il explique, d’une part, la longue campagne menée par la presse socialiste contre l’esprit rétrograde dans l’armée, et d’autre part l’infatigable acharnement avec lequel les hommes politiques du parti réclament la substitution du milicien au soldat de profession. Il y a d’ailleurs un second motif de suspecter l’établissement militaire : c’est que l’armée travaille pour un idéal singulièrement différent de celui que M. Jaurès élabore pour la France. M. Jaurès, qui sent que nous ne donnons notre cœur que si l’on nous promet des victoires, nous fait espérer, — on va voir en quels termes, — que l’aurore du règne socialiste nous réserve comme une génération spontanée de victoires. « Quand la France, dit-il, aura fait tomber toutes les geôles européennes, l’Alsace et la Lorraine s’évaderont vers elle et se retrouveront