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dans ses bras ; quand la République sociale aura triomphé des deux côtés des Vosges, la question d’Alsace-Lorraine sera résolue. » Et pendant que M. Jaurès nous berce de ces espérances, qui rendent à peu près superflus les diplomaties et les états-majors, ce qui reste de notre état-major continue de coopérer avec notre diplomatie pour le relèvement de la France… Ce sont là, si je puis ainsi dire, les raisons « intellectuelles » de l’anti-militarisme socialiste ; il en est une dernière, plus terre à terre, et plus sensible, peut-être, à beaucoup d’adhérens des groupes révolutionnaires : c’est qu’en cas d’émeute, à certaines heures, les fusils de l’année partent tout seuls. Mais laissons ce domaine, qui est celui de la peur, pour regagner l’autre, qui est celui des idées : l’antimilitarisme du parti socialiste se rattache, d’une part à sa conception de la République, d’autre part à sa conception de la politique extérieure de la France.

Or, nous retrouvons ici, sans y avoir pris garde, les mêmes considérans qui dirigeaient, à la fin de l’Empire, l’esprit républicain : avant M. Jaurès, les Garnier-Pagès et les Jules Favre défendaient contre les prétoriens la maquette décidément fragile de la « liberté ; » avant M. Jaurès, les Garnier-Pagès et les Jules Favre rêvaient d’une alliance internationale des démocraties, qui bousculerait les trônes des tyrans et les cartons des chancelleries. Et ce n’est point malgré son humanitarisme, mais à cause de cet humanitarisme même, que le parti socialiste, à la fin du XIXe siècle, devait logiquement avoir sa place à table, dans la grande famille républicaine revenue à la foi de son enfance.


IX

Il y a deux Frances, proclame le jacobinisme actuel. Reprenant ce terme en un autre sens, nous dirions volontiers que lorsque patriotes et francs-maçons, chauvins et humanitaires, chefs militaires et chefs socialistes, crient les uns et les autres : « Vive la France ! » C’est à deux Frances, effectivement, que s’adressent leurs vivats ; et la discussion, poussée jusqu’à son terme, les accule à cette question : Qu’est-ce que la France ?

Nous voulons former des Français ; qu’est-ce que la France ? Un républicain de bonne nuance, le professeur Bouteiller, s’interroge ainsi lui-même, dans les Déracinés de M. Barrès, et Bouteiller répond : « Une collection d’individus ? Un territoire ? Non