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les chaudes paroles de son frère l’émeuvent : il se reconquiert bien vite, et quand il met sa main dans celle du bourgmestre pour échanger le serment d’alliance, il entend que ce serment lui livre les bourgeois de Berlin sans rengager lui-même envers eux.

Les Berlinois, qui ne se doutent pas de cette restriction mentale, sont fort satisfaits du contrat : puisqu’un chevalier puissant, bon capitaine, s’est chargé de veiller sur eux, ils vont pouvoir poursuivre leurs affaires dans l’ordre et dans la paix. Pour commencer, ils se préparent à lui faire grand accueil. Par malheur, — ces coïncidences sont plus fréquentes au théâtre que dans l’histoire, — le jour même des fêtes, arrivent coup sur coup deux messagers inattendus : le notaire des États de la Marche, qui apporte la nouvelle de la mort du Margrave régnant, — sur quoi l’on crie : Vive Quitzow ! — et un moment après, un envoyé impérial, qui vient annoncer l’élection d’un nouveau margrave, Frédéric de Hohenzollern. Aussitôt, le conflit éclate : Dietrich de Quitzow ne veut point accepter ce maître importun, et n’a cure des volontés ni des lois qui le lui imposent ; sa vraie nature se manifeste dans un éclat de violence : dans ces temps troubles où l’esprit moderne s’élabore, il demeure un féodal, ou plutôt un despote, une façon d’anarchiste qui ne croit qu’en sa force, ne veut lui imposer aucune contrainte, ne compte que sur elle :


La loi — la loi — sachez que sur la terre
Il n’y a rien que je méprise autant que le mot de loi !
La loi est la ligue de toutes les lâches mazettes
Contre l’homme fort, libre, courageux !
La liberté, reine de tous les rois,
Est devenue une basse esclave par la loi.
Aussi, je lui donne asile sur le sol de la Marche,
Je l’étreins de mon bras,
Inséparablement, pour que nous mourions de la même mort,
Et que Dietrich Quitzow soit son dernier mot !


Les Berlinois hésitent sur le parti à suivre. Mais Thomas Wins vient les supplier de se méfier de l’homme injuste dont il est victime. Dietrich riposte en le faisant enlever par ses soldats, auxquels il ordonne de l’emmener dans son château de Friesack. Et cette brutalité, ce mépris des droits de l’hospitalité, écartent de lui ses alliés d’un jour.

Plus qu’aucun autre, le jeune Conrad a senti l’injustice.