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Aussi accompagne-t-il à Friesack la femme et la fille de Wins, Gertrude et Agnès, qui veulent implorer la pitié du terrible Dietrich. Celui-ci ne les écoute pas. Il n’écoule pas son frère. Ame de violence, il ne connaît que l’arbitraire et la vengeance. Conrad essaye en vain de lui parler de ses devoirs de conducteur de peuple : il hausse les épaules, le repousse et s’irrite. Et le jeune homme, que hante l’idéal entrevu à travers la souffrance des proscrits de Straussberg, accompagne les deux femmes à Brandebourg, auprès du maître légal, qu’il veut voir de ses yeux.

Il le voit, il l’entend, avec les représentans des villes, les seigneurs, les magistrats accourus à sa rencontre, et qu’émeut le langage inspiré du Hohenzollern :


Ce n’est pas l’arbitraire des hommes, c’est la volonté de Dieu qui m’envoie,
Du Dieu qui compte les larmes humaines.
Il m’a dit : Ce pays a beaucoup de seigneurs,
Mais pas un maître ; — il a des juges, mais aucun droit.
Ce pays a des champs, mais pas de semences ;
Il a des épées et des lances, mais pas de charrue.
Celui-là seul qui compte les grains de sable de la Marche,
Compte les plaies du Brandebourg.
Apporte-lui la paix, apporte du pain à ses enfans,
Protège ses champs contre les sabots des chevaux,
Ses chaumières contre l’incendie —
Voilà la mission sacrée que j’ai reçue,
Cette mission sacrée, hommes, je l’accepte !
(Profond murmure dans l’assemblée.)
Marche du Brandebourg, pourquoi te déchires-tu
De tes propres armes ? C’est un jeu d’enfans !
Réveille-toi, et va virilement à ta tâche ! Je le la montrerai !
(Il prend sa bannière de la main d’un de ses chevaliers.)
Ici je plante ma bannière,
Dans ton cœur. Où flotte cette bannière,
Le sol est sucré : c’est la patrie.
Et comme moi-même je lui jure fidélité
Jusqu’aux derniers rejetons de la race,
Je demande le même serment sur cette bannière.
Je l’ordonne donc : jurez à la patrie !


À ces paroles, Dietrich de Quitzow essaye de répondre : le Hohenzollern n’est pour lui qu’un intrus ; il lui refuse le serment, il invoque pour garder ses victimes le droit de prise, que les anciens usages concèdent au chevalier. Mais c’est au milieu