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indirect, puisque les membres du Cabinet américain n’appartiennent pas au Parlement. En leur conférant ce pouvoir éventuel, le Congrès a voulu épargner à la nation les risques que pourrait lui faire courir un trop brusque changement de politique : le même parti est ainsi assuré, quoi qu’il arrive, de rester quatre années aux affaires, et il y a tout au moins de très grandes chances pour que les principes généraux dont s’est inspiré le président défunt soient respectés par celui de ses collaborateurs qui recueillerait sa succession. Cette règle conservatrice semble d’autant plus justifiée qu’aux Etats-Unis l’action présidentielle peut revêtir un caractère plus personnel.

On n’a, le plus souvent, qu’une idée assez vague de l’importance que peut prendre ce rôle individuel et, trompés par les apparences, les écrivains les plus autorisés se sont parfois mépris complètement sur l’étendue réelle des attributions dévolues à la Présidence de l’autre côté de l’Atlantique.

Voici, par exemple, ce qu’en dit Prévost-Paradol dans la France nouvelle : « Le premier magistrat de la République américaine a si peu de pouvoir que sa responsabilité contenue, comme ce pouvoir même, dans les plus étroites limites, semble ne devoir jamais être mise en jeu. Il ne peut ni faire la guerre ou la paix, ni traiter sans l’aveu du Congrès, ni choisir ses principaux agens, ambassadeurs et ministres sans l’assentiment du Sénat, et, en l’absence du droit de dissolution, le veto suspensif est la seule arme que la Constitution lui ait laissée pour tempérer l’ascendant presque absolu du Congrès fédéral[1]. »

A première vue l’étude théorique de la Constitution américaine paraît justifier ces conclusions. Un Président de république assisté de ministres qui ne peuvent prendre part aux débats du Congrès, — un Sénat investi d’un droit de contrôle qui s’exerce jusque sur la nomination des fonctionnaires, — une Cour de justice qui peut casser les décisions législatives alors même qu’elles sont revêtues de la sanction présidentielle, tels sont les traits les plus saillans d’une organisation qui semble devoir en effet restreindre singulièrement la liberté d’action du chef du

  1. Le brillant écrivain, qui devait, quelques semaines avant la chute de l’Empire, être envoyé aux États-Unis comme ministre plénipotentiaire, eût vraisemblablement modifié ce jugement si presque au lendemain de son arrivée à Washington le plus inexpliqué des suicides n’eût, comme on sait, brusquement mis fin à une vie encore si pleine de promesses.