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Sablé, peu fortunées, se laissèrent convaincre et avancèrent six mille francs. Muni de cette faible somme, de futur abbé de Solesmes se porta acquéreur. Il multipliait d’autre part les démarches pour recruter des prosélytes et vaincre les difficultés d’ordre spirituel. Enfin, le 11 juillet 1833, dom Guéranger célébra solennellement l’office de saint Benoît dans l’église réconciliée. Le troupeau qu’il amenait et voulait soumettre à la règle bénédictine se composait de son fidèle ami, l’abbé Fonteinne, et de trois autres aspirans dont la vocation peu solide ne tint pas à l’épreuve. La foi du fondateur ne se communiquait pas autour de lui ; les cœurs restaient fermés, comme les bourses, à une entreprise taxée de pieuse fantaisie.

Au prix de quelles luttes quotidiennes elle triompha, on le devine sans peine. Luttes morales contre l’indifférence ou l’hostilité du milieu ; luttes pour la vie matérielle de la jeune communauté, dans une maison où tout était à refaire. Peu à peu, les novices arrivaient, l’ordre renaissant prenait figure ; mais, durant de longues années, on vécut à Solesmes d’espérances, d’une vie précaire et accablée sous les lourds engagemens du début, sous les charges qui augmentaient en raison même du succès et des développemens qu’il commandait. Je ne puis retracer ici l’histoire de cet effort d’un demi-siècle, toujours égal, toujours victorieux, grâce à l’inébranlable foi de l’ouvrier dans son œuvre ; et l’homme qui assuma cette tâche écrasante trouva loisir et liberté d’esprit pour les travaux savans où s’illustra son nom, pour les grandes controverses où sa doctrine inspira les décisions œcuméniques de la Papauté. Ce n’est pas le lieu de redire le rôle insigne de dom Guéranger dans les affaires générales de l’Eglise. J’ai voulu seulement marquer à Solesmes le point de départ en regard du point d’arrivée.

Si l’on se reporte à ces humbles et difficiles débuts, il semble que la parabole du grain de sénevé soit vraiment faite pour cette création magnifique, animée aujourd’hui d’une vie intense, créatrice à son tour de tant d’autres organismes florissans. La ruche a essaimé : toutes nos maisons bénédictines ont été reconstituées par les fils de dom Guéranger et sous sa direction. Après la France, il reconquit l’Allemagne. Les Pères Maur et Placide Wolter vinrent s’instruire et se former à Solesmes, avant de ressusciter l’ordre bénédictin dans l’antique abbaye de Saint-Martin-de-Beuron ; ce fut sur les conseils de leur savant maître qu’ils