Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/703

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas, tant s’en faut, le seul ouvrage, M. Pedrell est encore, et peut-être avec plus d’éclat, un maître de l’esthétique, de l’histoire et de l’archéologie musicales en son pays. Membre de l’Académie de San-Fernando, professeur au Conservatoire de Madrid, l’éminent musicologue publie depuis nombre d’années, sous le titre : Hispaniæ Scholæ musica sacra, les chefs-d’œuvre des grands Espagnols d’autrefois : les Morales, les Guerrero, les Comès et les Cabezon. Il vient d’entreprendre, à part, une édition complète de l’un des plus grands de tous, de ce tragique Vittoria, que naguère les chanteurs de Saint-Gervais nous ont révélé. Maître encore une fois en son art par la double maîtrise de la pratique et de la théorie, ou de la science, M. Pedrell occupe en Espagne un rang analogue à celui que tient en Belgique M. Gevaert, ou M. Bourgault-Ducoudray parmi nous.

En même temps que son drame lyrique, M. Pedrell a publié quelque cent pages qui le commentent, le justifient et plus d’une fois le dépassent. Elles prennent alors le caractère et la valeur non seulement d’une préface ou d’un appendice, mais d’un programme et d’un manifeste. Il est bon de les lire d’abord, afin de se familiariser avec les principes généraux dont l’œuvre musicale n’est qu’une très particulière et très rigoureuse application.


I

Le titre et l’épigraphe de la brochure en disent assez l’objet. Elle est intitulée : « Por nuestra musica (Pour notre musique) » et la première page porte ce texte d’un musicologue du XVIIIe siècle, le P. Antonio Eximeno : « Sobre la base del canto nacional debia construir cada pueblo su sistema (Sur la base du chant national chaque pays devrait édifier son système de musique). » Or l’Espagne, on l’a trop longtemps ignoré, l’Espagne est un des pays de l’Europe où cette base a toujours eu le plus d’étendue et de profondeur. Notre érudit confrère M. Albert Soubies, qui s’est institué l’historien des nationalités musicales, n’a pas consacré moins de trois volumes de sa précieuse collection aux origines et au développement de la musique espagnole[1]. Elle s’est formée d’élémens aussi riches que nombreux. Au moyen âge, c’est l’art des trouvères, dont le plus fameux, Guillaume Adhémar, chantait à la cour de Ferdinand III, roi de Castille et de Léon. C’est le génie arabe, encore plus efficace et plus reconnaissable encore aujourd’hui,

  1. Histoire de la musique en Espagne, par M. Albert Soubies ; Paris, E. Flammarion, 1899-1900.