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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/704

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qui, dans la musique ainsi que dans l’architecture espagnole, s’est introduit et fondu pour jamais.

A la fin du XVe siècle et pendant le XVIe, sous la forme alors universelle de la polyphonie des voix, la musique religieuse eut au-delà des Pyrénées son âge d’or. Et cet éclat ne vint à l’Espagne que d’elle-même ; elle n’en reçut pas un rayon, pas un reflet, de la Flandre ou de l’Italie. M. Pedrell a su prouver l’indépendance de sa patrie dès les temps reculés, et les historiens flamands ont dû reconnaître avec lui dans les Guerrero, les Morales et les Vittoria, non pas les disciples, mais les contemporains seulement et parfois, en des œuvres déjà nationales, les égaux des maîtres néerlandais. Ils ne se distinguent pas moins des maîtres de Rome ; une oreille exercée ne saurait s’y tromper, et, comme l’a dit à peu près M. Soubies, elle trouvera dans un répons de Vittoria je ne sais quoi d’un peu âpre, d’un peu rauque, qui sonne l’espagnol et non l’italien[1].

Le XVIIe siècle entretint encore le sentiment national ; mais le siècle suivant, le plus italianisé de tous, le compromit et faillit le perdre. « Notre décadence, écrit M. Pedrell, fut plus déplorable que celle de l’Italie. L’Italie, — était-ce un bien ou un mal ? — avait créé un genre nouveau que toutes les nations de l’Europe finirent par adopter, ou subir. L’Espagne, comme les autres, paya son tribut à l’étranger ; à la fin du XIXe siècle, nous le payons encore. » Alors l’élément indigène se réfugia dans les genres légers : la tonadilla, la zarzuela, d’où bientôt il tomba dans le genre moderne, plus trivial et même grossier, du flamenquismo. C’est là que l’a trouvé M. Pedrell ; c’est de cette chute qu’il entreprend de le relever, pour l’introduire, élargi et purifié, dans les plus nobles régions de l’art.

Cet élément ou cet idéal, M. Pedrell le réclame et veut le rétablir tout entier. Par ces mots : el gusto popular, el canto national, l’auteur de Los Pirineos entend un trésor composite et, pour ainsi dire, un héritage plusieurs fois séculaire de beauté. Lorsque, nous rapportant les théories, qu’il fait siennes, d’un de ses compatriotes et confrères, M. Pedrell se demande quel doit être l’opéra espagnol, il le définit ainsi : « Ce ne sera pas seulement un drame lyrique sur un sujet tiré de notre histoire ou de nos légendes. Il ne suffit pas non plus de l’écrire en castillan, d’y semer quelques thèmes populaires dont l’apparence originale cacherait imparfaitement la provenance étrangère de tout le reste. Le caractère d’une musique vraiment nationale ne se

  1. Histoire de la musique en Espagne, t. I.