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Une partie de ses fiches fut détruite lors de la Commune : il ne se découragea pas, continua ou recommença le travail. Quand enfin il s’arrêta pour embrasser ses richesses d’un coup d’œil, il en fut surpris, presque effrayé. Il comprit qu’il était temps de songer à mettre en œuvre ce qu’il avait accumulé. Mais comment publier un tel amas de matériaux disparates, qui auraient rempli un nombre formidable de volumes ? Godefroy se résolut à faire trois parts de son butin. Il mit dans la première les mots propres au moyen âge, ou qui avaient eu au moyen âge des formes ou des sens perdus depuis ; dans la seconde, les mots du français littéraire moderne avec leurs exemples du moyen âge ; dans la troisième, ce qu’on aurait appelé autrefois les « extravagans, » tous les mots qu’il avait pris dans l’usage populaire, dans les vocabulaires de métiers, dans l’argot, dans les patois (voire dans les patois créoles), qui n’étaient pas attestés au moyen âge et ne figuraient dans aucun dictionnaire français. Il obtint, — grâce à l’appui de Littré et de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, — une souscription ministérielle qui lui permit d’imprimer la première partie (1880-1896). Il avait compté qu’elle remplirait dix forts volumes in-4o à trois colonnes : elle ne suffit que pour sept volumes et demi ; Godefroy combla le vide avec sa seconde partie, qu’il intitula : Complément, en n’y comprenant que les exemples antérieurs au XVIIe siècle. La division entre ces deux parties était peu heureuse : il n’est pas scientifique d’éliminer de la langue d’une période des mots qu’elle possédait, parce qu’ils ont continué à vivre après cette période ; et en outre on peut dire qu’il n’est pas en français moderne un seul mot ancien qui n’ait eu autrefois des formes ou des sens qu’il n’a plus, en sorte que la limite théorique posée par Godefroy ne pouvait être, en pratique, tracée que d’une façon arbitraire et incertaine. L’annexion du Complément a réparé en partie le défaut initial du plan ; il subsiste toutefois et rend assez incommode l’usage des deux parties ; d’ailleurs le Complément en lui-même est beaucoup moins riche que le Dictionnaire proprement dit, bien qu’il étonne par l’abondance de ce qu’il apporte de nouveau ; trop souvent l’auteur s’est borné à transcrire tout au long les exemples donnés par Du Gange, Sainte-Palaye ou Littré, auxquels, dans un ouvrage de ce genre, il suffisait de renvoyer. Godefroy mourut ayant commencé l’impression du Complément d’après un plan assez défectueux, que n’ont pu changer ses deux