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il n’avait pas voulu croire à l’imminence du danger qui le menaçait : il mourut victime de la science et du devoir, laissant de profonds regrets à tous ceux qui l’avaient connu… Quelques années plus tard disparaissait aussi son frère James, frêle organisme qu’animait une âme géniale. Nés en Lorraine d’une humble famille Israélite, ils ont été deux des plus belles fleurs qu’ait données à la France cette greffe judaïque qui, lorsqu’elle s’est, comme c’était ici le cas, intimement incorporée à la vieille souche nationale, lui a fait pousser plus d’un précieux rejeton.

La fortune, qui venait de frapper si cruellement une belle entreprise, lui devait une compensation et la lui donna. La Sorbonne eut l’heureuse idée, pour combler en partie le vide laissé par Darmesteter, d’appeler à Paris, en le chargeant d’un cours de « philologie romane, » — ce titre apparaissait pour la première fois dans notre haut enseignement parisien, — un jeune professeur de la Faculté des lettres de Toulouse, M. Antoine Thomas, qui, après être sorti le premier de l’Ecole des Chartes, avait pris part aux conférences de Darmesteter et aux miennes à l’Ecole des Hautes Etudes, avait été membre de l’Ecole de Rome, et s’était déjà fait connaître par d’excellens travaux[1]. Hatzfeld, sur la suggestion de James Darmesteter, lui proposa de l’aider à terminer le dictionnaire. Il y consentit, et toute la publication, qui allait seulement commencer, fut poursuivie avec son active participation.

Il ne prit pas toutefois entièrement la place de Darmesteter. La part de celui-ci, dans le dictionnaire, ne se restreignait pas à l’étymologie : il a travaillé comme Hatzfeld à tous les articles, et si l’idée et le plan, pour la partie moderne, viennent de celui-ci, Darmesteter a droit de revendiquer dans l’exécution une part à peu près égale. M. Thomas, au contraire, n’a eu pour le corps des articles que le rôle d’un « lecteur » attentif. Il n’était substitué à Darmesteter que pour ce qui concernait l’étymologie et l’ancienne langue. Mais le domaine qui lui était réservé n’avait avec l’autre qu’une frontière indécise, et il a dû souvent la franchir. Le plan du dictionnaire comportait que l’histoire

  1. M. Petit de Julleville héritait de la chaire de « littérature française du moyen âge et histoire de la langue française. » À la mort de celui-ci, l’an dernier, la chaire, avec le titre de « littérature française du moyen âge et philologie romane », a été donnée à M. Thomas, et une chaire d’« histoire de la langue française » a été créée pour M. Brunot.