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Angleterre, M. Murray est en train d’en accomplir une semblable, pour laquelle on peut dire que la nation entière lui a prêté son concours. Chargé par l’université d’Oxford de la confection du New English Dictionary, il a pu se procurer un outillage approprié à sa vaste tâche ; puis il a fait appel, pour l’aider, à des bonnes volontés qui se sont présentées en grand nombre. Des fiches uniformes, accompagnées d’instructions sommaires, ont été envoyées à tous ceux qui en demandaient, et toute la littérature anglaise, ou peu s’en faut, a été ainsi dépouillée. On peut espérer qu’en France, où tant de gens aimeraient employer utilement leurs loisirs, un semblable appel aurait un semblable succès. Mais il faudrait trouver un directeur du travail et lui assurer, avec une existence honorable, le moyen de rétribuer quelques collaborateurs choisis par lui. Cela ne suffirait pas. La préparation du travail, qui demanderait à elle seule une assez longue suite d’années, puis l’impression, exigeraient de fortes dépenses. L’Etat, les universités, les corps savans, pourraient y contribuer ; le mieux serait qu’il y fût pourvu par des contributions volontaires. Les généreux donateurs qui accablent l’Institut de prix dont l’utilité n’est pas toujours bien évidente trouveraient un meilleur emploi de leurs libéralités en constituant ou en accroissant un fonds consacré à une œuvre aussi nationale et en même temps aussi scientifique, au monument le plus digne d’elle que la France puisse s’élever à elle-même. C’est ainsi qu’aux temps de foi les peuples venaient en masse, non seulement apporter l’argent, mais charrier les pierres pour l’édification des cathédrales.

Le « maître de l’œuvre » devrait être, cela va sans dire, pourvu du savoir nécessaire, imbu des méthodes philologiques les plus sévères, et, surtout, enthousiaste de l’entreprise et disposé à lui consacrer son existence. Il faudrait qu’il fût jeune. Si je l’étais, je regarderais un tel emploi de ma vie comme le plus bel usage que j’en pusse faire. Du moins serai-je heureux si, avant de mourir, je vois un autre se dévouer à cette grande mission avec les moyens de l’accomplir, et Dieu sait que je ne lui marchanderai ni mes encouragemens, ni les secours qu’il sera en mon pouvoir de lui fournir !


GASTON PARIS.