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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/841

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passée : animées le plus souvent de projets de vengeance envers leurs ennemis, parfois aussi d’intentions bienveillantes à l’égard de leurs descendans.

Cependant, les imaginations grossières de ce temps ne pouvaient se représenter l’esprit que sous une forme matérielle, et on arriva sans doute assez tard à la conception plus éthérée qui identifie l’aine avec la respiration ou le souffle, spiritus, afin d’expliquer qu’elle demeure invisible, comme l’est en effet l’haleine du vivant. Auparavant, on la revêtit d’ordinaire d’une apparence plus tangible ; ne voit-on pas, par le contenu des anciennes légendes, qu’il est possible de s’en emparer, de l’aspirer, de l’anéantir ? Après la mort, elle demeure quelque temps encore à côté du défunt, elle peut rentrer en lui, et ne l’abandonne que pour errer aux environs de sa demeure, ou de son monument funèbre. Elle se pose alors volontiers sur les arbres voisins, sous la figure d’un oiseau ou d’un être ailé fantastique. Néanmoins la forme la plus pratique pour satisfaire les différens caprices qu’on lui prêtait sembla celle du serpent, car un reptile est propre à se glisser facilement par la bouche au dedans de notre enveloppe charnelle. Enfin, pourquoi l’esprit du mort ne pourrait-il s’insinuer, cette fois pour tout le cours d’une existence nouvelle, dans un autre corps d’homme, d’animal, de plante, dans un objet inanimé au besoin ? Telle est l’origine probable de la croyance à la migration des âmes.

— Véritablement, dis-je au jeune savant, vous ne présentez pas sous des couleurs flatteuses les débuts dans le monde d’une doctrine que vous dites appelée à un si grand avenir, après avoir joui d’un si glorieux passé.

— C’est que, différent de quelques enthousiastes, en qui la mauvaise foi se glisse à la faveur de leur exaltation, j’aime avant tout la vérité. Encore n’ai-je pas terminé ma leçon, et vais-je sans doute vous révolter bien davantage, car j’estime que l’âme, oiseau ou serpent, représente déjà une forme poétique et gracieuse de l’animisme. Les débuts en sont plus bas encore. On a sans doute placé tout d’abord le principe spirituel d’une façon diffuse dans les os, dans le sang, dans les muscles du vivant. Par là se fit jour cette idée que quiconque mangeait les chairs d’un animal noble ou, mieux encore, d’un homme d’énergie, s’incorporait sa force, son courage, son esprit fertile en expédiens. D’où le cannibalisme par hygiène morale, en quelque sorte, tel qu’on