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ascétique et pessimiste[1]. Or, Schulze, qui considérait les enseignemens du Véda et du bouddhisme comme les fermons d’une prochaine régénération pour le sentiment religieux dans l’Europe civilisée, a dit en propres termes : « L’on peut supposer que, si, parmi nous, après la ruine totale du christianisme, se produisait une renaissance religieuse indépendante des dogmes et de l’Écriture sainte, la croyance à la réincarnation devrait nécessairement en fournir la base. » La palingénésie a l’adhésion plus précieuse encore du professeur Deussen, et son raisonnement sur ce point est assez curieux. Que devenons-nous après la mort ? Il n’y a, dit-il, que trois réponses possibles. Ou bien nous nous réduisons à rien ; or, une « certitude intime » nous garantit qu’il n’en est pas ainsi. Ou encore nous allons à des peines et à des récompenses éternelles, au ciel ou dans l’enfer. À son avis, cette éternité heureuse ou malheureuse, déterminée par les mérites ou démérites moraux d’une existence aussi brève que la nôtre, n’est pas admissible. Il reste la migration des âmes, seule solution possible.

— Et voilà pourquoi votre fille est muette ! interrompis-je avec irrévérence. Ce dilemme à trois cornes me paraît laisser place à quelques échappatoires, et je ne me sens pas convaincu.

— Qui pourrait se flatter de vous convaincre ? Je vous fais donc grâce des adhésions moins nettes, ou moins autorisées : celles de mes confrères en indologie, un Max Müller[2], un Neumann, et d’un professeur de Tubingen, M. Spitta[3] ; celle d’un essayiste de valeur, M. Bleibtreu, dans son récent volume qui porte ce titre singulier « De Robespierre à Bouddha[4] ; » enfin, celle de M. H. S. Chamberlain[5], qui nomme la migration des âmes « une conception grandiose, peut-être sans seconde au point de vue moral. »

Aussi bien, j’ai à vous transporter maintenant dans une sphère où votre esprit logique et mathématique se sentira plus à l’aise : car vous êtes polytechnicien, et je sais que cette empreinte est ineffaçable. Je vous ai montré la migration des âmes fétichiste et, pour ainsi dire, matérielle encore, incorporant directement

  1. Voyez Pfungst, Ein deutscher Ruddhist, Stuttgart, 1899.
  2. Das Pferdebuerla, Berlin, 1899.
  3. Mein Recht auf Leben, Frankfurt. 1900.
  4. Berlin, 1899.
  5. Grundlagen, vol. III.