Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/891

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour faciliter l’immigration de ces colons ; 50 millions en une fois comme en 1848, 50 autres millions en 1871, et, chaque année depuis 1840, une somme plus ou moins élevée ; les calculs les plus modérés estiment la somme totale à environ 200 millions ; d’un autre côté, la population rurale s’élève aujourd’hui au chiffre de 210 000 âmes ; et quand on constate d’une part cette grosse dépense et d’autre part la présence sur le sol algérien de ces 210 000 colons ruraux, il paraît naturel à beaucoup de supposer que ces deux faits sont intimement liés et que le second est la conséquence du premier. Même, à entendre certains, non seulement la colonisation officielle aurait doté l’Algérie de sa population rurale, mais encore elle aurait fourni et fournirait encore aujourd’hui à la population entière de ce pays des sortes de cadres que viendrait ensuite remplir la colonisation libre. A l’appui de leurs dires ceux qui ont adopté cette manière de voir invoquent des statistiques anciennes, dressées par les soins du gouvernement général de l’Algérie, d’où il résulterait que les périodes où l’intervention de l’Etat a été le plus énergique ont été aussi celles où la colonisation libre s’est le plus développée. On cite, à titre d’exemple, la période de 1840 à 1851, où le général Bugeaud pratiqua le système de la concession gratuite et où l’Assemblée législative donna aux ouvriers parisiens un lot de terres en Algérie ; au cours de ces onze années, la population rurale implantée dans des centres autres que les villages officiels s’accrut de 29 088 unités. On ajoute aussi que, pendant la période de 1860 à 1871, la concession gratuite ayant été un moment abolie, il ne fut créé que onze nouveaux villages avec 4 582 habitans, tandis que, entre 1871 et 1878, grâce aux crédits et aux terrains accordés en faveur de l’immigration par l’Assemblée nationale, la population rurale française se serait augmentée de 43 500 personnes.

Mais les faits précis de l’histoire de la colonisation algérienne que nous avons exposés nous autorisent à émettre des conclusions diamétralement opposées à l’opinion que l’Algérie doit sa population rurale à la colonisation officielle. Ils nous permettent de nous rendre compte que les dépenses faites par la métropole pour appliquer ce procédé de colonisation n’ont contribué que dans une proportion insignifiante au peuplement de l’Algérie, les colons officiels ayant été presque tous évincés et déchus et remplacés par les colons libres, qui ont, eux, mis en valeur des