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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/893

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qu’on doit attribuer au fait que, de 1871 à 1878, l’administration aurait implanté 43 501 colons en Algérie. C’est dans la notice publiée en 1889 par le gouvernement général sur le service de la colonisation que se trouve cette indication. Or, d’après la statistique de l’Algérie, document qui n’est pas établi pour démontrer une thèse préconçue, la population agricole européenne de toute la colonie, étrangers et Français compris, n’a monté, de 1871 à 1878, que de 19 728 unités[1]. On ne comprend pas, ainsi que le fait remarquer à juste titre M. Burdeau, comment le nombre des colons français aurait pu s’accroître de 43500, quand le nombre total des colons montait de 20 000 à peine, à moins d’admettre que l’afflux des colons officiels a eu pour résultat non seulement d’arrêter l’immigration libre, mais de provoquer encore une fois la sortie d’un grand nombre de colons fixés déjà dans le pays.

La vérité est que, loin d’avoir aidé au développement de la colonisation libre, l’intervention directe de l’Etat, s’exerçant par le moyen de la colonisation officielle, lui a singulièrement nui et l’a entravée. Chaque fois que l’intervention de l’Etat s’est fait sentir d’une manière énergique, elle a eu pour résultat d’amener le ralentissement de l’immigration libre et même de provoquer, ô ironie des choses ! l’exode d’une partie des habitans de la colonie. L’inauguration de la colonisation officielle, en 1841, fut le signal du départ des colons libres de 1830 qui avaient tant fait pour rendre prospère le pays. La création des premiers villages artificiels par l’administration militaire et l’administration civile, suivie aussitôt de leur débâcle, eut pour résultat, en 1847, l’arrêt complet de l’immigration libre. Plus tard, la création des villages parisiens sous l’autorité militaire amène, en 1850, le dépeuplement général du pays, des villes aussi bien que des campagnes. Dans ces derniers temps, la reprise de la colonisation officielle, en 1871, n’a pas donné de meilleurs résultats ; tant qu’elle a battu son plein, l’immigration libre a été suspendue, pour ainsi dire, et le pays a perdu de ses anciens habitans. Ces faits sont tellement exacts qu’on peut aujourd’hui formuler la règle que, « moins il y a eu de colonisation officielle, plus il y a eu de colonisation libre, » et l’on peut trouver, pour ainsi dire, de décade en décade, la confirmation de cette règle.

  1. L’Algérie en 1891, Burdeau, p. 53.