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former les concessions sur lesquelles l’administration puisse installer ses colons. Ces terres, on ne peut se les procurer qu’en les enlevant aux indigènes. Dépouillés de leurs biens, ceux-ci ne peuvent les vendre aux immigrans venus librement de France se fixer en Algérie. Les terres dont s’empare l’administration sont ainsi enlevées aux transactions amiables entre colons acheteurs et Arabes vendeurs, et ainsi enlevées en réalité à la colonisation libre. De plus, cet accaparement des terres indigènes par le Domaine, en raréfiant sur le marché la matière transactionnelle, a pour résultat de faire hausser pour un temps le prix du terrain, et cette hausse est d’autant plus accentuée qu’on a confisqué plus de terres aux indigènes. Les confiscations et les expropriations en masse ont en outre pour résultat de créer un état de troubles et d’amener les Arabes, réduits à la misère, à se livrer au pillage pour vivre ou se venger. C’est ainsi qu’à toutes les périodes de grandes confiscations et d’expropriations, l’insécurité a atteint en Algérie son maximum d’acuité. Ne trouvant plus de terres à acheter ou ne pouvant les acheter qu’à un prix élevé, craignant en outre pour leur vie, les immigrans de la métropole ne viennent plus dans la colonie. Mais, au bout d’un temps, la détente se produit. Les villages officiels, dont la création hâtive et artificielle ne répond à aucune nécessité économique, ne peuvent pour un certain nombre prospérer, et les colons officiels, d’ailleurs trop souvent inaptes et spéculateurs, abandonnent la partie ; ils délaissent ou cherchent à aliéner leurs concessions : il y a abondance de terres concédées sur le marché, et le prix en diminue d’autant plus que le nombre des concessionnaires partans est plus considérable. Cet avilissement du prix des terres antérieurement concédées ne tarde pas à influer à son tour sur la valeur même des terres cultivées par les colons libres : toute la propriété algérienne se trouve dépréciée et cette dépréciation est d’autant plus forte qu’à cette cause d’avilissement il vient s’en joindre une autre, l’insécurité. Ayant leurs terres dépréciées et leurs récoltes constamment compromises et menacées, les colons libres ne peuvent plus trouver à emprunter ou ne peuvent plus faire face à leurs affaires : ruinés ou expropriés, ils quittent la colonie ou vont s’établir dans les villes du littoral. C’est alors au tour des immigrans de la métropole d’accourir et de racheter à vil prix les terres dont n’ont point voulu les colons officiels et celles qu’ont été obligés