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John Bull ne peut pardonner à Jacques Bonhomme de s’être interposé entre lui et ses colons révoltés. Pitt, qui a songé un moment à devenir le gendre de Necker en épousant celle qui devait être Mme de Staël, recule devant l’impopularité à laquelle l’exposerait une telle alliance. Lord Lansdowne ne peut négocier un traité de commerce avec la France sans qu’on l’accuse d’être acheté par le cabinet de Versailles. Le duc d’Orléans se montre souvent sur le turf à Newmarket et il plaît au populaire de le considérer comme le mauvais génie du prince de Galles. Lorsqu’un Anglais est corrompu, ne faut-il pas que le corrupteur soit un étranger ?

La caricature traduisit ces préventions hostiles et Rowlandson, loin de chercher à les combattre ou à les modifier, mit au service du préjugé national la connaissance superficielle qu’il possédait de nos mœurs et de notre caractère. La Place des Victoires, toute fourmillante de monde, malgré la variété infinie des types et des incidens, n’ajoute pas grand’chose à cette psychologie peu flatteuse des Français que Hogarth avait esquissée dans sa Porte de Calais. C’est toujours le même peuple, vaniteux, sensuel, superstitieux. Dans Caserne française et Caserne anglaise, — deux dessins qui forment pendant, — l’artiste, avec plus d’habileté que de justice, a opposé le soldat anglais et l’officier français. On peut résumer l’effet produit en disant que la caserne anglaise est une nursery, la caserne française un boudoir ou un cabinet de toilette. Le soldat anglais nous apparaît, absorbé dans des travaux de ménage auprès de sa mère et de sa femme ; l’officier français s’égaye avec sa maîtresse pendant qu’un coiffeur lui poudre les cheveux et accommode sa volumineuse cadenette. Le soldat anglais apprend la manœuvre à son petit garçon ; dans l’autre dessin, on voit un domestique qui fait faire l’exercice à un caniche. D’une part, tout est honnête et sérieux ; de l’autre, rien qu’amusement, frivolité, parodie. La chambre de l’officier français est décorée avec plus de goût et d’élégance que la caserne britannique : c’est la seule supériorité que Rowlandson veuille bien nous accorder. L’intention satirique est encore plus amère dans Une famille française. Ce sont des danseurs. Le père, la mère, le fils, la fille, — à peine vêtus, mais admirablement coiffés, — esquissent un pas. Le grand-père paralytique et l’enfant au maillot, entraînés par l’instinct de race qui se réveille au son du crincrin, essayent de suivre le mouvement.