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L’unique luxe de ce taudis est un grand miroir, et ce miroir nous avertit que le bonheur de ces gens-là est de s’admirer. Rowlandson, qui s’était fait moraliste pour la circonstance, a voulu laisser et laisse, en effet, au spectateur, une impression de méfiance, de répulsion et de mépris. La légende disait : « Une famille française, » et le public trouvait agréable de reconnaître dans cette image la famille française.

Lorsque les premiers symptômes de la Révolution se manifestent, les sympathies du peuple anglais sont du côté des novateurs. Les uns applaudissent sincèrement au progrès des idées libérales, les autres voient dans la crise qui s’annonce une cause certaine d’affaiblissement pour leurs rivaux. Ou les deux nations, gouvernées par des principes semblables, vivront en sœurs ; ou la France, qu’elle soit enchaînée par le despotisme ou déchirée par l’anarchie, sera, pour longtemps, incapable de nuire. Dans cette lutte entre le peuple de Paris et la cour de Versailles, c’est contre celle-ci que l’opinion anglaise prend parti. Une caricature de Gillray, qui montre Marie-Antoinette en Messaline, donne une forme graphique aux calomnies dont on s’efforce de la déshonorer. Partout des sociétés se forment en sympathie avec les révolutionnaires d’outre-Manche : Société du 14 Juillet, Société de Correspondance, Société de la Révolution et, plus tard, Société des Amis du Peuple. Les dissidens anglais sont au premier rang de ce mouvement, qui doit, pensent-ils, leur apporter à eux-mêmes les bienfaits de la tolérance religieuse et la plénitude de la liberté politique. Price et Priestley, tous deux ministres non-conformistes, le second, chimiste illustre, s’allient avec des démagogues comme Tom Payne et Horne Tooke. De nombreuses exhibitions familiarisent la foule avec les grandes journées révolutionnaires, que Fox, dans le parlement, salue de chaudes et vibrantes paroles, comme des victoires dont le genre humain tout entier profite et se réjouit. En 1790, il se déclare prêt à voter le budget de la guerre, parce que, dit-il, en voyant les soldats français fraterniser avec les citoyens, il s’est réconcilié avec les armées permanentes. Les amis du roi, la majorité ministérielle garde, en présence de ces transports oratoires, un silence morose, boudeur, presque menaçant. Cette réserve s’accentue à mesure que la Révolution française se développe et s’élargit. Lorsque Talleyrand vient à Londres en mission, on fait à l’ancien évoque un froid accueil et il faut toute l’impudence du