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non plus que sur ce qu’on y pourrait trop aisément relever de baroque. Laissons par exemple M. Capus, au moment de nous parler de son théâtre, invoquer l’autorité de Kant, et M. Donnay se recommander de M. Izoulet, « le plus grand philosophe de l’époque contemporaine. » On ne sait jamais, avec les ironistes, s’ils parlent sérieusement. Mais, plutôt que de nous égayer, tâchons de nous instruire.

Nous aurons des déceptions, n’en doutons pas, comme toutes les fois qu’on s’avise de prier les gens de nous renseigner sur un métier qu’ils devraient connaître puisque c’est le leur. De même que, pour la plupart, les peintres parlent mal de peinture et sont les plus mauvais juges du talent de leurs confrères, de même c’est l’écrivain de théâtre qui sera le plus sobre de détails sur le métier dramatique. Car d’abord il met sa coquetterie à n’en rien savoir et à ignorer ses propres procédés de travail. « Le savons-nous, comment nous travaillons, demande M. Rostand, et n’est-ce pas par instinct plutôt que d’après certaines théories préconçues ?… Travaillons donc au hasard, selon l’inspiration, obéissant seulement à notre tempérament, à un sourd instinct. » Vieux préjugé qui consiste à mettre la source de l’inspiration en dehors du poète, à préférer ce qui est instinctif, irréfléchi, inconscient à ce qui est raisonné et voulu ! Il faudrait donc conclure que les auteurs ont plus de mérite à écrire de belles œuvres s’ils ne le font pas exprès, et qu’ils en doivent être d’autant plus fiers qu’ils y ont moins de part. Prétention qui d’ailleurs ne supporte pas l’examen : on ne cite ni un beau poème, ni un beau drame, qui ait été composé comme par mégarde, ni un écrivain de génie chez qui le don naturel n’ait dû être fécondé par le labeur réfléchi. — Comme on le devine, chaque auteur n’aperçoit l’art tout entier du théâtre qu’à travers la conception qu’il s’en fait et les spécimens qu’il en a donnés. « J’estime, dit M. Brieux, que le rôle de l’auteur dramatique doit se borner à être une sorte d’intermédiaire entre les pensées des grands savans inaccessibles à la masse et le public. Il doit offrir à ce dernier, sous une forme intéressante, des idées très belles, très généreuses. Oui, c’est là notre rôle : séduire le public en mettant à sa portée les beaux rêves des philosophes et des savans. L’auteur dramatique devient ainsi en quelque sorte le commis voyageur de l’intellectualité. » Sans doute c’est là une conception intéressante du rôle de l’auteur dramatique. Nous-mêmes, nous avons maintes fois exprimé notre sympathie pour un théâtre où il y aurait des idées. Encore serait-il difficile de l’imposer à tous les écrivains, et M. Brieux semble ne pas se représenter très nettement ce que peut être un « écrivain penseur. » Prendre les idées des