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prix ou de déplacer un moellon dans l’école de Noëmie sans désirer la jolie directrice. On l’attend derrière les portes pour lui pincer la taille ; visite de fonctionnaire, demande de leçons, tout est un piège tendu à sa vertu ; un devis d’architecte cache des propositions déshonnêtes. Il nous faudra donc entendre la déclaration du maire Mazurier, celle du pharmacien Baugrand, celle de l’entrepreneur Oudoire. Tout cela est d’une furieuse monotonie et les scènes de mœurs scolaires ne sont pas pour raviver beaucoup l’intérêt. Noëmie fait une belle défense. Elle aurait pu, lors de son arrivée, se marier avec un gentil garçon, employé aux postes, très épris d’elle. Cela lui eût sans doute épargné bien des ennuis. Mais on l’en a détournée en lui donnant des conseils d’un trop profond machiavélisme. « Surtout ne vous mariez pas ! Cela nuirait à votre avancement. » Quel jour jeté sur les mœurs de notre Administration ! En vain l’inspecteur d’Académie, lors de sa visite dans l’école de Noëmie, trouve-t-il toutes choses dans un ordre parfait. On circonvient ce brave fonctionnaire. On l’assourdit de tout un bruit de calomnies. Il se forme contre la trop jolie et trop vertueuse institutrice une coalition de tous les mâles dépités. Ah ! si Noëmie eût été laide ! Elle eût fait son chemin dans l’Université. Si Noëmie eût été complaisante, si elle eût fait le bonheur du maire Mazurier, si elle eût contenté le pharmacien Baugrand, si elle eût plaisanté avec le jovial Oudoire ! Elle aussi, elle aurait pu prétendre aux palmes académiques. Au contraire, elle voit peu à peu sa situation compromise, puis perdue ; une à une, les mères reprennent leurs filles, l’école se vide. Noëmie n’est plus qu’une institutrice sans élèves. Le seul parti qu’il lui reste à prendre est de donner sa démission et de faire choix d’une autre carrière, où les jolies filles ne sont pas exposées aux entreprises des hommes. Je n’ai pas bien saisi quelle est cette carrière de tout repos ; j’ai plaisir du moins à savoir qu’il y en a une. Souhaitons qu’elle ne soit pas encore trop encombrée.

Ce n’était pas un rôle facile à jouer que celui de Noëmie Lambert : Mlle Mégard s’en est tirée à son honneur. M. Gémier est excellent sous les traits du pharmacien Baugrand ; et il faut faire une mention toute particulière pour la verve avec laquelle M. Baudoin a enlevé le rôle de l’entrepreneur de maçonnerie.


Pour ce qui est de Manoune, on ne peut dire que la pièce ne vienne pas à sa date ; elle est d’une qualité devant laquelle s’effacent toutes les différences de temps et sur laquelle les chicanes d’école n’ont pas de prise. Mme Marni est l’auteur d’un certain nombre de romans