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une atteinte profonde à leur vie religieuse elle-même, et dans ce qu’elle a de plus intime, » ils disent vrai. Si on comprend que l’État exige des congrégations qu’elles se soumettent aux évêques, on comprend aussi que quelques-unes d’entre elles déclarent ne pas pouvoir le faire. Si elles le faisaient, en effet, elles ne seraient plus elles. Elles perdraient leur personnalité. Alors, à quoi bon conserver, au prix d’un acte aussi pénible, la vaine apparence d’une institution qui ne correspondrait plus, ni à son nom, ni à l’esprit de ses statuts, ni à son caractère historique ? Le mot qui a été prononcé sur les jésuites au siècle dernier : Sint ut sunt aut non sint ! — Qu’ils soient comme ils sont ou qu’ils ne soient pas ! — revient à la mémoire, et il semble en somme empreint d’une raison profonde, car ce n’est même pas se survivre que de ne plus être soi.

Admettons, si l’on veut, que les jésuites aient eu secrètement d’autres motifs de se dissoudre que ceux qu’ils ont donnés publiquement. Condamnés d’avance, ils ont trouvé plus digne de ne pas solliciter une autorisation dont la demande n’aurait pas été de leur part un acte sérieux. Ils ont regardé leur sort en face et l’ont accepté. Mais, si les raisons qu’ils ont fait connaître ne sont pas les seules qui les ont déterminés, elles n’en conservent pas moins toute leur valeur, puisqu’elles ont certainement dicté la même détermination à d’autres ordres religieux qui n’étaient pas, aux yeux de l’opinion, dans la même disgrâce que les jésuites, et qui pouvaient légitimement espérer, si les Chambres se montraient clémentes pour quelques-uns d’entre eux, être au nombre des moins mal traités. M. de Vogué, dans le dernier numéro de la Revue, parlait avec émotion de l’abbaye de Solesmes, qu’il venait de visiter et que les bénédictins étaient sur le point d’abandonner pour se réfugier à l’étranger. Les bénédictins n’ont encouru, de notre temps, aucune impopularité. Ils n’enseignent pas. On ne leur a jamais reproché de faire de la politique active. Ils travaillent et prient. Ils sont les héritiers et les continuateurs d’une œuvre d’érudition qui honore l’esprit humain. Le mot de « travail de bénédictin » est passé dans la langue courante pour exprimer une œuvre de très longue haleine, minutieuse, difficile, et appréciée seulement d’une élite d’hommes instruits. Leur influence sur l’Église contemporaine n’en a pas moins été très grande. Sous l’inspiration de dom Guéranger, ils n’ont pas médiocrement contribué à l’engager dans les voies ultramontaines, et, à ce point de vue, ils se sont exposés à des critiques. Mais ces critiques, qui les leur fait aujourd’hui ? Bien peu de personnes, à coup sûr. Les bénédictins ont compris la vie religieuse