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mêmes droits que les autres. Il sera sans doute prudent de leur part de le faire avec discrétion, mais enfin rien ne les empêche de le faire. En somme, les maisons où ils vivaient en commun sont vides, mais les maisons d’enseignement qu’ils dirigeaient sont pleines comme autrefois. Ce n’est peut-être pas le but que se proposaient les auteurs de la loi, et l’on peut se demander ce que M. Trouillot va en dire : nous n’insistons pas pour ne pas l’exciter, il le fera bien tout seul ! Les bénédictins, au contraire, vivent loin du monde et le pratiquent peu : pour eux, la vie en communauté est la meilleure de toutes, la seule qu’ils aiment, et ils n’ont pas consenti à y renoncer. Après l’application des décrets de 1880, ils avaient éprouvé déjà la douleur de la séparation ; ils ont résolu de ne pas s’y exposer une fois de plus, et, ne pouvant plus vivre en France en congrégation, ils ont passé la frontière et transporté leur congrégation telle quelle à l’étranger, cherchant dans des pays plus libres, bien qu’ils ne soient pas en république, le droit de vivre conformément à leurs règles et à leur goût, dans l’isolement et la paix. Ce que nous en disons s’applique aux autres ordres religieux qui ont aussi passé la frontière ; si nous ne parlons guère que des bénédictins, c’est que leur exemple est le plus significatif. On comprend à la rigueur la malveillance et la sévérité des pouvoirs publics à l’égard d’ordres extrêmement mêlés au monde, actifs et influens comme les jésuites, ou extrêmement remuans et batailleurs comme se sont montrés les assomptionnistes. Mais, à supposer qu’on trouve ceux-là encombrans et qu’on les frappe, pourquoi frapper les autres du même coup ? On aura beau dire qu’on ne les a pas frappés, et qu’ils se sont dispersés ou exilés eux-mêmes pour ne pas demander une autorisation qu’on était prêt à leur donner, nous venons de voir que réduire la question à ces termes, c’est méconnaître quelques-uns de ses élémens essentiels. Obliger d’honnêtes gens à faire quelque chose de contraire à leur conscience ou à s’expatrier, c’est les obliger à s’expatrier. Et pourtant ils ne gênaient personne ; ils n’étaient ni bien hardis, ni bien ambitieux, excepté peut-être dans le domaine des idées pures ; ils ne menaçaient ni l’ordre social, ni l’ordre politique actuels. Une loi qui les atteint est-elle donc une loi bien faite ? On comprend que l’État, après avoir affirmé son droit sur les congrégations, en use, comme il l’a fait en 1880, avec violence, avec franchise aussi, dans la mesure où il juge convenable de le faire. Mais que dire d’une loi générale qui, s’appliquant à tous indistinctement, même à ceux qu’on aurait préféré ménager, se trouve plus dure pour ces derniers que pour les autres et ne leur laisse un refuge que dans