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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/964

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l’exil ? Le gouvernement actuel a assumé, en faisant cela, une lourde responsabilité : il la portera devant l’histoire.

Il y avait, grâce à Dieu, très longtemps que des Français n’avaient pas été condamnés à s’expatrier afin de vivre suivant leur conscience. On doit remonter beaucoup plus haut que la Révolution pour en trouver un exemple, car les émigrés de cette époque obéissaient à des intérêts purement politiques, et ils passaient la frontière pour la repasser les armes à la main. Ce n’est pas pour vivre librement, sans faire de mal à personne, qu’ils quittaient leur pays. Ce n’est pas parce qu’ils pensaient d’une certaine manière sur le grand problème de la destinée humaine, qu’ils se voyaient obligés d’aller penser ou prier ailleurs. Non, il faut aller en arrière jusqu’aux persécutions religieuses, et s’exposer à des souvenirs douloureux et à des comparaisons fâcheuses, pour voir des Français errant à travers le monde à la recherche d’un endroit où ils auraient la liberté qu’on leur refusait chez eux. Il y a eu là une honte pour l’ancienne monarchie. Nous ne voulons rien exagérer ; la persécution d’aujourd’hui n’est sans doute égale, ni en intensité, ni en étendue, à celle d’alors ; nos mœurs, heureusement, ne s’y prêteraient pas ; mais, quand il s’agit d’une violation des consciences, la question de plus ou de moins perd de son importance : le respect doit être intégral, absolu. Le spectacle qui se déroule sous nos yeux est profondément triste. Le XIXe siècle ne l’avait pas vu, le XVIIIe non plus : pourquoi faut-il qu’il se mêle à l’aurore du XXe siècle, et que ce soit, hélas ! la France qui le donne ?


FRANCIS CHARMES

Le Directeur-Gérant, F. BRUNETIERE.