Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et en fait, on peut répondre hardiment que non. Il y a solution de continuité dans la chaîne des temps. Les auteurs de nos Mystères n’ont rien hérité des Latins et des Grecs, de Pacuvius ni de Sophocle, et j’ajoute, sans tarder davantage, qu’ils n’ont préparé ni le drame de Shakspeare, ni la tragédie de Racine. Je serais moins affirmatif en ce qui regarde le drame espagnol, et il se pourrait, — je n’ai pas examiné la question, — que la tradition des Mystères eût eu sa part d’influence dans la conception des autos sacramentales de Calderon et de Lope de Vega. Mais, théoriquement, si les Mystères sont nés à l’ombre de l’autel (Cf. Marins Sepet, les Origines catholiques du théâtre moderne, Paris, 1901) ; s’ils n’ont d’abord, et même longtemps, été qu’un prolongement ou presque une fonction du culte ; et enfin, s’ils se sont comme profanés en devenant sur leur déclin la caricature ou la dérision d’eux-mêmes, on ne saurait nier que la connaissance de leur évolution, par les nombreux et curieux rapprochemens qu’elle suggère, ait jeté de nos jours une vive clarté sur les origines de la tragédie grecque. C’est toutefois à la condition que l’on ne s’exagère pas la valeur de ces rapprochemens. Si les origines de nos Mystères et de la tragédie grecque ont ceci de commun qu’elles sont également « religieuses, » on a vu plus haut que ce mot de « religion » n’avait pas tout à fait le même sens en grec et dans nos langues de l’Europe moderne. Et puis, et surtout, tandis qu’il est bien vrai que la tragédie grecque, et la comédie même, se sont primitivement engendrées du dithyrambe, et de la célébration des fêtes de Bacchus, il y a vraiment quelque abus à parler des origines « catholiques » du théâtre moderne. Les historiens de la littérature grecque nous ont paru trop appuyer sur ce que la tragédie de Sophocle et d’Euripide aurait conservé de « religieux ; » mais, de leur côté, les historiens des Mystères insistent trop sur les analogies lointaines de quelques épisodes de nos Mystères avec quelques pièces de notre théâtre profane. Ici encore, comme plus haut, il y a solution de continuité dans la chaîne des temps. Ni on ne peut rattacher l’évolution des Mystères à l’histoire de la tragédie ancienne, ni on ne peut, rattacher l’histoire de la tragédie moderne à l’évolution des Mystères. Mais au contraire, et pour achever la démonstration, il n’y a rien de plus facile que de relier l’évolution de la tragédie moderne à l’évolution de la tragédie grecque.