Le rattachement se fait par l’intermédiaire des deux écrivains dont nous avons dit deux mots tout à l’heure : l’auteur des Vies parallèles et Sénèque le tragique. Nous les avons appelés les premiers des cosmopolites : un autre nom de leur cosmopolitisme est le nom d’universalité. On peut dire d’eux, en vérité, mais surtout de leurs œuvres, qu’elles ne sont d’aucun temps ni d’aucun pays, du moins quand on ne se pique pas d’en approfondir la nature, et c’est pour cela qu’en empruntant à Plutarque, bien plutôt qu’aux tragiques grecs, la matière de sa tragédie, toute l’Europe de la Renaissance en a imité la forme de Sénèque. Seulement, et après avoir traduit ou adapté Sénèque tout entier, tandis que l’Angleterre et l’Espagne se libéraient de son influence, pour tendre, de tout l’effort de leur génie, vers une architecture plus libre, et tout autre du drame, où la poussée ne s’exerce plus du tout aux mêmes points, l’Italie et la France la subissaient docilement, et remontaient par elle, à mesure des progrès de l’érudition, jusqu’à la tragédie grecque, dont elles s’appropriaient lentement ce que l’esprit moderne en pouvait accepter, s’assimiler, et transformer en soi.
On pourrait dire de la tragédie italienne ce que Nisard a dit de la tragédie romaine : elle n’existe pas ! Je trouve à ce propos, dans une intéressante histoire de la littérature italienne, — la plus « nationaliste, » la plus passionnée, et, si je ne me trompe, la plus répandue de toutes, — celle de Luigi Settembrini, les lignes que voici : « Le XVe siècle n’a pas vu naître moins d’un millier de drames, d’après le calcul d’Allacci, et, de 1500 à 1734, Riccoboni n’en a pas compté moins de cinq mille. On en a tant écrit depuis lors, que, si l’on en faisait aujourd’hui la somme, on en trouverait plus du double, et tout cela joint ensemble n’irait guère à moins d’une vingtaine de mille. On entend cependant répéter, et par des gens qui le croient, que les Italiens n’ont pas de drame national, comme si l’art d’un peuple pouvait représenter autre chose que sa vie nationale… » (Luigi Settembrini, Lezioni di Letteratura Italiana, Naples, 1894, t. II, p. 109, 16e éd.) Et voilà un argument dont personne avant le fougueux professeur ne s’était avisé ! « L’art d’un peuple ne peut représenter autre chose que sa vie nationale ; » et donc, pour qu’il y ait une sculpture américaine, par exemple, ou une architecture portugaise, il suffira que les squares de Saint-Louis ou de Buffalo soient ornés de statues, comme il suffit qu’à