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La première de ces trois époques a été bien étudiée par M. Emile Faguet, dans son livre sur la Tragédie française au XVIe siècle (Paris, 1883) ; par M. Eugène Rigal, dans son livre sur Alexandre Hardy (Paris, 1889), — essentiel pour tout ce qui touche à l’organisation matérielle du théâtre entre 1580 et 1640 ; — et par M. Gustave Lanson, dans son Corneille (Paris, 1898). On y peut joindre utilement le livre déjà plus ancien de M. Gaston Bizos : Etude sur la vie et les œuvres de Jean de Mairet (Paris, 1877), et, en allemand, le livre de A. Ebert : Entwickelungs Geschichte der französischen Tragödie (Gotha, 1856).

Imitée de la tragédie de Sénèque, dont les caractères sont pour ainsi dire codifiés et consacrés en force de loi dans la Poétique de J.-C. Scaliger (1561), la tragédie française n’est d’abord, comme celle de Sénèque en latin, qu’un exercice de collège, destiné à la lecture plutôt qu’à la représentation ; conçu, par suite, en dehors ou indépendamment de toute exigence proprement scénique ; et, par suite aussi, traité, comme d’ailleurs il convenait à des disciples de Ronsard, selon le mode lyrique. C’est ce que l’on voit très bien dans les tragédies de Jacques Grévin, de Jean de la Péruse, des frères de La Taille et surtout dans celles de Robert Garnier, dans sa Porcie (1568), dans son Hippolyte, dans ses Juives (1583), son chef-d’œuvre, où les chœurs tiennent plus de place que l’action, et, d’une manière générale, où les grandes scènes de L’histoire, dont le poète sent confusément la force dramatique, ne lui servent que d’un prétexte ou d’une occasion pour éprouver des impressions personnelles, qu’il essaie de communiquer comme telles à ses lecteurs. Pareillement encore Antoine de Moncrestien, dont les six tragédies, — et la Marie Stuart (1600) en particulier, — ne sont que des élégies dialoguées. On a d’ailleurs eu tort de voir, dans cette forme première et comme rudimentaire de notre tragédie classique, la promesse et comme les prémices d’une autre forme de tragédie. Mais c’est bien elle ! on la reconnaît, avec sa tendance oratoire, et telle qu’elle pouvait être, aussi longtemps qu’inspirée des sources antiques, mal connues, et surtout mal classées, elle ne se proposerait pas de s’éprouver « aux chandelles. »

C’est avec Alexandre Hardy que cette préoccupation commence d’apparaître. « Comédien de campagne, » ainsi qu’on les appelait alors, et « nouveau Thespis, » — pour ceux qui aiment ces rapprochemens, — si celui-ci n’a pas composé, prétend-on,