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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/149

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moins de cinq ou six cents pièces, dont il ne nous en reste heureusement que trente-quatre, il les a faites pour être jouées, et de là, pour lui, la double nécessité : premièrement, de faire des pièces qui fussent effectivement « jouables, » et secondement, et pour cela, de donner à l’intrigue une qualité d’intérêt propre à soutenir la curiosité. Le moyen qu’il en prit fut de mêler le romanesque au dramatique, et c’est ce qu’on appelle la tragi-comédie.

La tragi-comédie a entravé pendant plus de trente ans le développement de la tragédie française, à peu près comme dans la nature les espèces ou les genres se gênent d’autant plus qu’étant plus voisins, la concurrence est entre eux plus continuelle et plus âpre. Qu’est-ce en effet que la tragi-comédie ? Ce n’est pas du tout, dans l’histoire du théâtre français, et comme son nom semblerait l’indiquer, une composition dramatique où le tragique et le comique, s’aidant l’un l’autre, et se faisant valoir par leur contraste même, alterneraient pour le divertissement du spectateur. Ce n’est pas davantage, — en dépit du Cid, auquel Corneille a donné d’abord le titre de tragi-comédie, — une tragédie qui finirait bien, dont le dénouement, au lieu d’être sanglant, serait heureux, et, par exemple, une Orestie qui se terminerait par des noces. On approcherait un peu plus de la vérité de sa définition, si l’on disait qu’elle diffère de la tragédie par la qualité des personnes, et qu’ainsi, n’y ayant de Tragédie que de palais ou de cour, des aventures privées sont la matière propre de la Tragi-comédie. Mais des « aventures privées, » ce sont des aventures qui ne sont pas en quelque sorte « authentiquées » par l’histoire, du moins au su de tous, et des aventures qui n’ont pas d’existence publique, ni certaine. Ce sont aussi des aventures dont l’enchaînement n’a rien de nécessaire. Et ce sont donc encore des aventures que le poète reste maître d’arranger, de combiner, de compliquer, d’enchevêtrer, de développer à son gré. La liberté, c’est son domaine, et aussi son moyen. Tragique peut-être en tout le reste, et au besoin non moins sanglante en ses péripéties, la tragi-comédie nous apparaît, de ce point de vue, comme une tragédie qui prétendrait se soustraire aux contraintes ou aux conditions d’où dépend justement sa grandeur. Elle en serait une contrefaçon, à moins qu’on ne l’en considère comme une grossière ébauche. Et c’est ce qui explique entre les deux formes rivales et adverses la vivacité de la lutte. Elles ne