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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/184

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fractionnés en tant de spécialités, étrangères les unes aux autres.

— Ici nous sommes d’accord, mon cher ami. Va donc pour l’embarquement ultra-rapide… en temps de paix.


7 septembre. — Nous venons de pavoiser. Quoi ! déjà ?… Oh ! ce n’est pas encore pour la Russie ; c’est pour le Brésil, qui célèbre aujourd’hui une fête nationale, l’anniversaire d’une révolution.

C’est que nous avons sur rade un bâtiment brésilien, un croiseur de près de 3 000 tonnes, qui sert d’école d’application pour les jeunes officiers. Ce bâtiment s’appelle le Benjamin-Constant. Il ne s’agit pas de l’homme d’Etat si connu, de l’auteur d’Adolphe, de l’ami de Madame de Staël, de l’ennemi de Napoléon, mais d’un autre homme politique, un politique brésilien, d’illustration plus récente. Il parait (je ne garantis pas) qu’il y avait à Rio, vers 1830, un Français qui, se nommant Constant, voulut que son fils poussât l’heureuse fortune jusqu’à s’appeler aussi Benjamin. Il était écrit sans doute que les Benjamin Constant auraient maille à partir avec les empereurs. Or, rencontre bizarre, le Benjamin-Constant, le croiseur brésilien, se profile pour nous tout juste sur la grande cale du Jules-Ferry, le croiseur cuirassé français en construction. Convenez, que le hasard s’amuse aux rapprochemens ingénieux.


9 septembre. — À terre.

J’ai pu aller en ville aujourd’hui. Cette entrée du port de commerce est toujours intéressante, avec, dans le fond, la gorge pittoresque de la Divette, aux lointains bleutés, encadrée d’un côté par le beau morne rouge et gris du Roule et, de l’autre, par les frais coteaux d’Octeville.

Cherbourg est en l’air, joyeux, alerte. Encore un peu, les rues seraient bruyantes. Beaucoup d’étrangers qui sont venus voir l’escadre ; beaucoup de touristes anglais et allemands avec l’inévitable complet gris. D’affreux et puans automobiles avec d’assez vilains « chauffeurs, » que le tout-Cherbourg des quais regarde la bouche ouverte… En revanche, quelques jolies petites femmes sur les trottoirs, — peut-être les cœurs que notre belle jeunesse de l’escadre traîne après soi. On les reverra à Dunkerque.