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pêches à quinze sous ; Yvette, au milieu de tous ces hommes titrés et de toutes ces femmes tarées, est-elle restée innocente, ou bien n’est-elle que la plus affreuse petite rouée ? Telle est l’énigme. A vrai dire, cette énigme peut en être une pour les invités de Mme Obardi, elle ne saurait en être une pour nous. C’est la règle au théâtre que plus une mère a rôti le balai et plus sa fille est un ange de pureté. Yvette anime la scène de son aimable pétulance ; elle raille ses amoureux, donne un surnom à chacun d’eux : c’est d’une gaieté à faire pleurer, et d’une finesse d’esprit à couper au couteau. A l’acte suivant, un autre bal, à la Grenouillère cette fois. Cette exhumation des gaités de Bougival n’a rien à faire avec le sujet ; mais c’est le moyen de boucher un trou, d’occuper le public et même de le mettre en joie en lui montrant Mme Grassot en train de danser le cancan. Pourtant le drame s’assombrit. Yvette soupçonne que sa famille pourrait ne pas être sans tache ; elle interroge sa mère. Et voici l’inévitable scène d’explication. Cette scène d’explication nous l’attendions sans impatience, sachant à n’en pas douter qu’elle viendrait et qu’elle serait telle que l’exigent les conventions. Mme Obardi nous devait un violent réquisitoire contre une société marâtre, où les filles de cuisine, pour peu qu’elles veuillent avoir un huit-ressorts, sont dans l’impossibilité de rester vertueuses. Nous sommes servis à souhait. Enfin voici le non moins inévitable suicide d’Yvette. Ayant entendu, au cours de la pièce, un médecin conférencier sur l’empoisonnement par le chloroforme, nous n’éprouvons aucune surprise. Bien entendu, Yvette ne s’en portera pas plus mal.

Cette pièce, qui est de la triple essence de banalité, a été jouée convenablement par MM. Tarride, Lérand, Mme Rosa Brück et quelques autres. Mlle Blanche Toutain interprétait le rôle d’Yvette. Elle y a été fort applaudie. C’est une raison de plus pour l’avertir que, si elle veut faire au théâtre une carrière de quelque éclat, il faut qu’elle change résolument sa manière. Son jeu est factice, affecté, convenu : qu’elle travaille le naturel, qu’elle pioche l’abandon. Sa diction est d’une monotonie déjà fatigante, mais qui ne tarderait pas à devenir insupportable.


RENE DOUMIC.