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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/241

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regrets à une suspension de leurs travaux. Les meneurs du parti ouvrier, ou du moins, comme nous l’avons dit, les plus instruits et les plus intelligens savaient à quoi s’en tenir sur tous ces points. Aussi a-t-on pu surprendre chez eux un sentiment auquel on ne se serait pas attendu, à écouter seulement leur langage. Tout en menaçant le monde capitaliste de la grève générale comme de la foudre, ils étaient les premiers à en être effrayés. Ils ressemblaient un peu à ce nécromancien qui, après avoir évoqué un démon plein de maléfices, avait oublié la formule d’exorcisme et ne savait plus comment s’en débarrasser.

À ce point de vue, la situation était piquante ; mais, à tous les autres, elle restait inquiétante, et ce n’était pas sans anxiété qu’on en attendait le dénouement. Si la grève générale n’était, pour le moment du moins, qu’un vain épouvantail, des dangers plus pressans et plus réels étaient à redouter. A supposer qu’elle eût été proclamée, la grève générale ne se serait certainement pas faite ; mais des désordres partiels et locaux, surtout dans des milieux comme celui de Montceau-les-Mines, pouvaient toujours éclater, que la grève fût déclarée ou non. A défaut d’une grève véritable, on risquait d’avoir des émeutes, et cela était même d’autant plus à redouter que, par une négligence impardonnable, le gouvernement avait laissé tranquillement les mineurs se pourvoir d’armes et de munitions.

Lorsqu’on a appris par les journaux que les ouvriers disposaient d’un nombre considérable de fusils, l’émotion et aussi la surprise ont été très vives. D’où venaient ces fusils ? Les uns disaient de Saint-Étienne, les autres de Paris : au reste, la question de provenance importe peu. Mais de deux choses l’une : ou le gouvernement a longtemps ignoré les achats faits par les ouvriers, et alors on se demande comment il use des moyens d’information dont il dispose ; ou il les a connus, et alors on ne s’explique pas qu’il les ait tolérés. Les journaux qui ont l’habitude de chercher auprès de lui leurs inspirations ont dit d’abord qu’il était lui-même désarmé : la loi avait établi la liberté de fabrication, de vente et d’achat de toutes les armes qui n’étaient pas réglementaires, c’est-à-dire d’un modèle en usage dans l’armée ; or, les fusils dont il s’agissait étaient d’anciens fusils Gras transformés, et tombés par conséquent dans la circulation sans que personne pût y mettre obstacle. Le gouvernement le regrettait, mais il n’y pouvait rien. S’il a cru cela, on comprend la longue abstention du gouvernement ; mais cela n’était pas vrai, et il a découvert depuis, malheureusement un peu tard, un article de la loi de 1885 qui l’autorisait à prendre,